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dufort de cheverny

rience auraient pu lui inspirer. Il se croit encore au milieu des faits qu’il raconte, et il écrit comme il avait pensé autrefois. Nous trouvons dans son livre la manière de voir et de sentir du jeune Introducteur des Ambassadeurs pendant le règne de la Pompadour, du grand propriétaire terrier sous la Du Barry et sous Louis XVI ; non celle du vieillard désillusionné par le malheur, éclairé sur la frivolité de l’ancien régime par le coup de foudre de la Révolution, et jugeant, au moment où il va mourir, le vide de sa vie.

Cette vie est une image assez fidèle de la seconde moitié du xviiie siècle. Elle commence par des joies ; elle finit par des larmes. Dans sa jeunesse, Dufort cherche le plaisir plutôt que le devoir, et il faut lui rendre cette justice qu’il y met plus de retenue que la plupart de ses contemporains ; il s’amuse, mais il ne tombe pas dans le vice. Quand il se marie, il rompt, le plus tard possible, mais il rompt sans hésitation et sans retour, une liaison qui lui est chère ; il veut être un mari fidèle et correct. Il prétend aussi avoir une femme qui ne soit qu’à lui ; il évite de la présenter à la Cour, quoique ce soit le droit de sa charge, et il s’attache à compléter chez elle, par des lectures qu’il dirige lui-même, une instruction première qui, suivant l’usage du temps, avait été assez négligée. Il résiste aux tentations de l’ambition, ne se souciant pas d’occuper des places