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dufort de cheverny

Même à ce moment où Dufort répète, avec tout ce qui l’entoure, qu’une solution est inévitable et imminente, où il appelle de ses vœux un pouvoir réparateur, capable de protéger les gens paisibles et de relever la société tombant en ruines, il ne prononce jamais le nom des Bourbons. Lui, homme de l’ancienne cour, lui qui a pleuré la mort de Louis XVI et de Marie-Antoinette, qui a conservé dans son château pendant la Terreur, en se contentant de le couvrir d’un voile le portrait de Louis XV, il ne songe pas au prince à qui, dans l’exil, quelques amis donnaient dès lors le titre de roi. La famille de Bourbon lui paraissait-elle donc si loin de la pensée des Français, si oubliée déjà, que ses destinées lui semblaient irrévocablement séparées des destinées de la France ?

En revanche, il s’occupe souvent du général Bonaparte. Dérogeant à son habitude de ne parler que de ce qu’il voit lui-même, depuis longtemps il raconte ce qu’on dit de ce personnage. Bonaparte se laisse citer en justice de paix par ses fournisseurs ; il passe cependant pour avoir quinze millions de fortune (II. 384)[1] ; son départ pour l’Égypte est un

  1. Il est intéressant, au point de vue des mœurs des deux époques, de comparer ce passage avec celui que nous avons cité dans une autre étude (p. 55). Quand Dubuisson, en 1737, relate les prévarications imputées par la rumeur publique au ministre Chauvelin, il hésite à y ajouter foi, mais il blâme sévèrement Chauvelin d’avoir donné de lui une idée telle que de pareilles accusations aient pu trouver créance.