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le charme de l’histoire

« malgré la pénurie de tous », on donne des réunions de vingt ou trente personnes où l’on fait de très bonne musique (II. 388). Le 28 février 1799, jour de la mi-carême, trois chauffeurs sont exécutés à Blois ; vingt-et-un prêtres de Belgique arrivent aux Carmélites, attachés dans des charrettes, pour être conduits à l’île de Ré et déportés ; ce même jour, Dufort note que « M. et Mme G… donnent un bal où se réunit toute la bonne société ; les autorités le voient sans inquiétude » (II. 397). Cette bonne humeur accompagnait les victimes jusque dans les prisons. À la Conciergerie, la plus terrible de toutes, parce qu’elle était la plus près du tribunal révolutionnaire et de la guillotine, on jouait au whist, au trictrac ; « on continuait philosophiquement la vie que l’on avait menée dans le monde » (II. 194). Philosophiquement n’est peut-être pas ici le mot propre : ces scènes nous donnent plutôt l’idée de l’incurable frivolité qui a justifié l’effondrement de l’ancien régime Dans un autre passage, et d’après le récit que lui fit plus tard Mme de Sérilly, l’amie et la parente de Mme de Beaumont, Dufort raconte, avec une note quelque peu différente, la vie que l’on menait à la Conciergerie. « Dès qu’on arrivait, les têtes étaient dans une exaltation effrayante. On jouait, on fumait, on buvait, on mangeait outrageusement. Toutes les passions y étaient en jeu. Il semblait qu’on n’eût que vingt-quatre heu-