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dégoûtant le lecteur, ils n’aient du moins empêché les ouvrages solides de faire une aussi forte impression ; reproche que je craindrais pour moi-même, si l’accueil favorable fait à l’opuscule dont celui-ci est la suite, ne m’avait un peu rassuré.

Parmi le petit nombre d’écrits qui méritent d’être distingués de la foule, à peine en est-il quelques-uns où l’on n’ait recours à une simple réforme d’administration, pour remédier aux abus et aux désordres de tous genres, qui ont mis le comble aux calamités publiques ; remède bien faible contre de si grands maux, ou, pour mieux dire, vues bien fausses aux yeux du penseur qui a observé de près les ressorts du gouvernement et le jeu de la Politique.

Quand l’histoire du passé ne servirait pas à nous instruire sur l’avenir et à nous rendre sages, il faudrait peu connaître les hommes pour attendre de la réforme du ministère le salut de l’État, et abandonner au gouvernement les destinées de la Nation. Quoi ! toujours supposer aux Princes l’amour du bien public qu’ils devraient avoir et qu’ils n’ont presque jamais ! Fussent-ils nés avec les plus heureuses dispositions, et eussent-ils reçu l’éducation la plus sage, encore y aurait-il de l’imprudence à leur confier l’autorité suprême : quelle vue assez ferme ne serait pas éblouie du faux éclat d’un pouvoir sans bornes, quel cœur assez pur pourrait y résister ? Quand ils seraient au-dessus de Titus, de Trajan, de Marc-Aurèle[1], ils ne peuvent ni tout voir, ni tout faire par eux-mêmes. Or, leurs ministres sont hommes, et trop souvent avec toutes les imperfections de l’humanité : ainsi, se reposer sur les soins d’une bonne administration serait bâtir sur le sable ; au premier souffle, l’édifice croulerait, et la nation se verrait replongée dans l’abîme.

  1. Marc-Aurèle ne sacrifia-t-il pas le bonheur de son peuple à son fils Commode, dont il connaissait le caractère atroce ? Il le nomma son successeur, et il pouvait en adopter un autre, comme il avait été adopté lui-même. (Note de Marat)