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Au reste, quand il s’en trouverait quelques-uns qui songeraient à faire fleurir les sciences, ne faut-il pas y être versé soi-même pour apprécier le mérite de ceux qui les cultivent : et comment prétendre que les princes s’occupent jamais de pareils objets ? Comment le désirer, tant qu’il leur reste à établir le règne de la justice, à rendre leurs peuples heureux ?

D’ailleurs, quand ils auraient toutes les connaissances qu’ils n’ont pas, comment déterreraient-ils le mérite, réduits comme ils le sont à s’en rapporter là-dessus aux fripons qui les entourent, et toujours dupes des intrigants qui ont su arriver jusqu’à eux. Malgré son génie, Frédéric II ne l’a-t-il pas été toute la vie, de Voltaire, de d’Alembert, etc. ? Catherine Alexiewna ne l’a-t-elle pas été de d’Alembert, de Diderot ; ne l’est-elle pas encore de Marmontel, de Condorcet ?

Mais Louis XIV ? — Louis XIV n’était pas meilleur juge. Il savait seulement que les gens de lettres sont les trompettes de la renommée, et il voulait se faire célébrer par ceux qui avaient eux-mêmes quelque célébrité ; aussi, crainte d’en oublier aucun, versa-t-il souvent ses bienfaits sur ceux qui en étaient le moins dignes. Ouvre la liste des pensions données par Colbert, tu y trouveras Cottin à côté de Boileau, Pradon à côté de Racine, Chapelier[1] y est même traité de premier poète de la nation. Toutefois c’était alors le bon temps, et pour les ministres éclairés, et pour les auteurs célèbres. Juge le beau jeu qu’ont les Pradons, les Cottins et les Chapelains d’aujourd’hui.

Laisse là les vains rêves. Tout irait bien, Camille, si la plume était réservée aux hommes de génie, aux esprits créateurs, seuls en état de faire de grandes découvertes, de créer des ouvrages originaux, de fixer les sciences et de les porter à leur point de perfection. On conclura peut-être qu’il faut en interdire l’usage à ces hommes médiocres,

  1. Chapelain.