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Leurs pompeux programmes ont aussi quelquefois de quoi amuser. Je ne te dirai rien des généreux sacrifices d’une Société hollandaise, qui proposait[1] gravement un prix de 30 ducats à quiconque établirait une manufacture d’acier qui rivalisât avec celles d’Angleterre, c’est-à-dire à quiconque serait d’humeur de dépenser 300 000 livres pour gagner 100 écus.

Je ne te dirai rien non plus d’un prix de 240 livres, offert par l’Académie royale des sciences de Paris[2], à qui « construirait dans le canal de la Manche, une espèce de rade flottante, où les vaisseaux battus de la tempête pussent trouver un refuge assuré » : programme qui annonce la profondeur du jugement de la compagnie. Je ne parlerai que du prix de 12 000 livres qu’elle vient de proposer pour le perfectionnement du flintglass, et c’est assurément le plus considérable qu’aucune société savante ait jamais proposé : les sots peuvent admirer la magnificence ; les sages riront de la mesquinerie. Quand on propose des recherches dispendieuses, dont la gloire ne saurait être la récompense du succès, le moins qu’on puisse faire, c’est d’indemniser des frais de l’entreprise.

Pour le même objet, les Anglais ont proposé un prix de 1 000 guinées : encore ne demandaient-ils pas le secret de l’artiste qui aurait réussi, et lui accordaient-ils un privilège exclusif pour trente années, ce qui équivalait à une espèce de fortune. Quant à nous, nous ne saurions rien faire de grand, malgré tant de sottes dépenses. Qui le croirait ? Nous donnons en retraite des pensions de 60, 80, 100 000 livres à un déprédateur qui a ruiné l’État ; et nous accordons une gratification de 300 livres à un homme de génie qui illustre la nation.

Au demeurant, ne gênons point l’industrie ; donnons liberté entière aux talents ; honorons le mérite ; respectons

  1. Feuilles de la Blancherie de 82 et 83. (Note de Marat)
  2. Journal de Physique de 1782 ou 1783. (Note de Marat)