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Lettre V

Autrefois les charlatans lettrés ne connaissaient d’autre moyen de nuire à leurs adversaires que la satyre ; ils déchiraient sans ménagement les écrits qui les chagrinaient : l’attaque nécessitait la défense, et du choc des opinions jaillissait souvent la vérité. Ainsi l’envie tournait presque toujours au profit des lumières.

Aujourd’hui, cher Camille, les auteurs, plus adroits, se gardent bien d’attaquer les productions qui leur font ombrage ; ils savent que ce serait fixer sur elles l’attention du public ; ils se contentent donc de les faire annoncer avec dédain dans les journaux, ou d’empêcher qu’elles n’y soient annoncées. Tel est le charlatanisme des académiciens modernes.

Mais quand ces MM. seraient aussi délicats qu’ils le sont peu, ils ne seraient guère moins persécuteurs : par cela seul qu’ils manquent de génie, par cela seul qu’ils sont vains.

Quoique toujours partagés d’opinions, ils n’en sont pas moins jaloux à défendre leurs systèmes particuliers. Comme ils ne se maintiennent en crédit qu’avec peine, plus ils sont pauvres, plus ils sont attachés au peu qu’ils ont ; les éclipser, c’est attenter à leur existence : le moyen qu’ils ne s’irritent pas contre tout ce qui blesse leur amour-propre, et qu’ils ne se réunissent pas contre tous ceux qui osent douter de leur infaillibilité ! Aussi les académies sont-elles toujours prêtes à s’élever contre les innovations, et à faire une guerre sourde aux découvertes brillantes : au lieu d’être le refuge des vérités nouvelles, elles deviennent l’asile des vieux préjugés ; et tel est ce vice inextricable de leur organisation, qu’il n’est rien qu’elles ne mettent en usage pour s’opposer au triomphe des réformateurs.

Malgré ce désordre général, le mal ne serait pas sans