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le fruit de leurs travaux ; tous animés du même zèle, tous heureux du bien qu’ils auraient fait !

On applique aux compagnies savantes ce touchant tableau ; j’en cherche partout le modèle, et ne le trouve nulle part. Je ne sais si pour notre repos l’illusion d’un esprit borné à qui l’ignorance rend tout croyable, ne serait pas à préférer cent fois à cette vue saine et ferme d’un esprit éclairé à qui rien n’en impose : mais est-on le maître de sa façon de voir ? Que te dirai-je ? l’image d’un bien qui n’est pas me fait doublement sentir le mal qui est, et la perte des avantages dont nous sommes privés.

Tu es étonné de cette légion de savants, vrais ou faux, que le gouvernement entretient à grands frais, et du peu de progrès que les sciences font parmi nous. Tu ne conçois pas que la seule académie de Paris, qui jamais ne fit rien pour l’honneur de la nation, coûte annuellement dix fois plus à l’État que tous les grands hommes qui illustrèrent le règne de Louis XIV. Tu te récries que l’on accumule sur la tête d’un académicien oisif, plusieurs pensions, dont une seule suffirait à l’entretien d’un homme de lettres laborieux. Tu t’indignes de ce que, pour gorger ces gens-là, on crée même en leur faveur des charges sans emplois[1], et qu’on y attache de gros honoraires. Enfin, tu gémis de ce qu’on arrache le pain à des malheureux, pour le donner à des saltimbanques, tels qu’un Charles[2], un Pilastre[3], un Blanchard[4], ou à des vils intrigants, tels qu’un More-

  1. Telle est celle, par exemple, d’historiographe de France, de garde-ateliers des arts, etc. (Note de Marat)
  2. Charles (Jacques-Alexandre-César), physicien (1746-1823). En décembre 1783, il avait été gratifié d’une pension de 2 000 livres. (Sur les démêlés de Charles avec Marat, cf. La Correspondance de Marat, pp. 14-16.).
  3. Il s’agit de l’aéronaute Pilâtre de Rozier (1756-1785) qui reçut une pension de 2 000 livres après l’ascension qu’il fit à Versailles, le 24 juin 1784.
  4. Blanchard (François), aéronaute (1738-1809). Après sa tra-