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Lettre II

Tu n’es pas du nombre de ces frivoles déclamateurs, qui se récrient sans cesse contre le goût des siècles passés pour les sciences spéculatives. Mais, cher Camille, si tu prends la peine d’examiner cette foule d’opinions erronées et absurdes qui déparent les sciences exactes elles-mêmes ; ces rêveries publiées tour à tour sur l’histoire naturelle, la chimie, la physique ; cette foule de systèmes qui s’entredétruisent réciproquement : tu seras surpris de la confiance de ces Messieurs dans les lumières du siècle, et des compliments sans fin qu’ils se font sur les progrès de la raison, sur le règne de la vérité. Peut-être seras-tu tenté de croire qu’il y a moins d’erreurs, moins de sottises dans les romans mystiques des Scot et des Malebranche, que dans les romans scientifiques des Wilcke, des Scheele[1], des Crawfort[2], des Kerwan, des Volta, des Lavoisier, etc.

La manie des systèmes s’est également emparée de tous les savants ; mais elle ne donne pas la même allure aux chimistes et aux physiciens. Tandis que les derniers s’efforcent de ramener à un seul agent tous les phénomènes de la nature, les premiers multiplient ces agents à l’infini ; ils prennent pour principes simples les résultats de la résolution des mixtes, et comme ces résultats varient avec les substances qui les ont fournis, ils en font des éléments différents. À quel nombre prodigieux n’ont-ils pas porté les acides, et à quel nombre prodigieux ne portent-ils pas les gaz aériformes ?

Si tu parcours la multitude des volumes publiés depuis

  1. Scheele (Charles-Guillaume), chimiste suédois (1742-1786).
  2. Crawford (Adair), médecin et chimiste anglais (1749-1795).