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pense de jugement ? À peine quelque préjugé est-il détruit par le temps, qu’on le voit remplacé par d’autres. Qu’y avons-nous gagné ? Nous ne croyons plus en Dieu ; mais nous croyons au diable : nous nous moquons des martyrs, et nous révérons les magiciens ; nous rions des mystères, et nous redoutons les prestiges ; nous jouons les esprits forts, et nous sommes des illuminés.

Après cela, est-il étrange que le public soit la dupe éternelle des imposteurs ? N’en doutons point ; telle est sa sottise, que, pour le prendre sans cesse au piège, il suffit d’en changer le nom. Pour favoriser les succès de l’imposture, à ces vices d’éducation se joignent quelquefois des causes accidentelles. Si on recherchait avec soin celle de la crédulité, qui déshonore la génération présente, peut-être la trouverait-on dans la préférence marquée que les sciences ont obtenue sur la littérature. Celle-ci, s’efforçant d’instruire et de plaire, cherche à parler au cœur et à la raison : celles-là, ne voulant qu’endoctriner, disposent à l’amour du merveilleux. L’étude de la nature, si simple dans ses moyens, si féconde dans ses résultats, offre une infinité de phénomènes surprenants, qu’il n’est pas aisé d’éclaircir : ne pouvant les ramener à des causes naturelles, on leur en suppose de merveilleuses, et si les hommes ne peuvent pour toujours se défendre de cet écueil, que feront des écrivains médiocres, et cette foule d’écrivains ignares qui ne cessent de barbouiller du papier, sur la physique, l’histoire naturelle, la chimie ? Crois-moi, Camille, les savants ont si souvent gâté le jugement des amateurs, en les accoutumant au merveilleux et à un jargon vide de sens, que c’est à qui l’emportera en stupidité ; et par une suite nécessaire de cette malheureuse disposition d’esprit, plus un ouvrage est inintelligible, plus il est en possession de plaire.

On objectera peut-être que Mesmer et Cagliostro ont trouvé plusieurs suppôts dans l’Académie française et n’en ont pas trouvé un seul dans l’Académie des sciences. Mais