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ÉLOGE DE MONTESQUIEU

précipice par César, et Rome devint la proye d’un de ses citoyens. Après avoir usurpé le pouvoir suprême, César établit l’impunité de tous les crimes publics, il abolit tout ce qui pouvoit arrêter la corruption des mœurs, il renversa les barrières du vice, et il employa les trésors de l’État à faire taire les loix, à faire souffrir sa tyrannie.

Le gouvernement devenu despotique changea bientôt de maximes. Au lieu de ce Sénat, dont les yeux étoient toujours ouverts sur la gloire de l’État, de ce Sénat qui n’avoit point eu de prospérités dont il n’eût profité, ni de malheurs dont il ne se fût servi. On vit quelques favoris à la tête du gouvernement, et toutes les affaires publiques furent traitées dans le cabinet du prince, qui, sacrifiant tout à ses passions, songea beaucoup plus à affermir son autorité qu’à veiller au maintien de l’État.

Rome se soutint quelque temps par la force de ses institutions. Au milieu du luxe, de la mollesse et de la volupté, elle avoit conservé une valeur héroïque. Les vertus guerrières lui restoient encore, lorsqu’elle eut perdu toutes les autres ; et comme dans les guerres civiles chaque homme est soldat, elle fut même en état de faire de nouvelles conquêtes ; mais le nerf de sa puissance étoit détruit.

Après la mort dé César, Auguste usurpa l’Empire, et travailla à maintenir la tranquillité de son gouvernement, à établir une servitude durable.

Il rendit les corps de légions éternels, et affecta des fonds pour leur solde : ainsi les armées ne furent plus composées que de mercenaires.

Sous lui se perdit la coutume des triomphes. La maxime du Sénat avoit été d’entretenir constamment la guerre. La maxime des Empereurs fut d’entretenir la paix ; ils regardoient les victoires comme des sujets d’inquiétudes ; ceux qui commandoient n’osèrent pas même entreprendre de grandes choses, crainte de réveiller la jalousie du tyran.