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d’agir l’énergie qui l’a suscité ? En dépit de tous mes efforts et de toute son indifférence, j’étais irrémédiablement possédée par cet homme, attachée, aimantée à lui. Et je sentais que mon âme serait toujours imbue de lui, quoi qu’il arrivât. Et voilà qu’il est mort. Si je l’avais aimé au sens strict du mot, je devrais éprouver une douleur atroce. Au contraire. Pour la première fois depuis près d’un an, je me sens l’esprit libre. Je puis regarder Edmond sans dégoût, avec affection. Mon immense, mon inguérissable désir de Robert, il me semble qu’il fut tué du même coup qui a tué l’homme. J’ai l’impression d’être exorcisée. Est-ce réellement cela, qu’on peut appeler l’amour ? Et cependant, j’ai souffert d’une passion d’amante ; j’étais sincère… Ou bien, n’est-ce qu’une cruelle loi naturelle : l’instinct d’exister qui nous pousse inconsciemment à rejeter de notre être, à oublier — avec une promptitude effrayante qui n’est peut-être qu’une forme de la sagesse sacrée — ceux qui nous ont précédés dans le néant, et dont le souvenir nous attirerait vers leur nuit… »

Edmond Descombes suivait ces pensées sur le