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choses de l’amour… Et surtout, qu’on attribue par erreur à ce sentiment des actions qui dépendent presque toujours d’un autre ordre d’idées… La femme est une grande imaginative : elle se figure éprouver ce que son esprit lui suggère. Souvent, son existence sentimentale reste purement fictive ; à travers la réalisation d’aventures vulgaires, c’est le spectre de ses rêves qu’elle poursuit…

Elle ajouta d’un air réfléchi :

— Et puis, il n’y a que deux catégories de femmes qui soient capables de véritable passion : celles qui n’ont jamais manqué de rien ou celles qui n’ont rien ; les unes, parce, que leur oisiveté leur laisse toute liberté de cœur ; les autres, parce que l’amour est le luxe de la misère. Le sentiment ne règne en maître que sur la grande fortune ou l’absolue détresse. Mais la moyenne des femmes, celles qui bénéficient d’une position tout en luttant contre les difficultés quotidiennes ; celles qui connaissent les soucis de l’ambition, du travail, de l’attente ; celles qui roulent leur rocher avec la fièvre d’atteindre le but et l’appréhension de retomber sous le poids d’une charge trop lourde,