Page:Marais - Pour la bagatelle.djvu/236

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sait avec un regret cuisant : « Ah ! pourquoi ne l’ai-je pas retenue, même de force… Pourquoi l’ai-je sottement laissée partir ! » Et son imagination lui traçait un tableau voluptueux d’étreintes frémissantes, de délices inédites qui brûlaient son être dévoré de fièvre. Le jeune homme constatait avec la résignation qu’excite en nous toute fatalité : « Ça y est, cette fois… Je suis amoureux. »

Aussi, avec quelle indifférence supérieure, dédaigneuse et blasée, regarda-t-il Théophraste Ballot gravir pesamment la tribune. Le célèbre leader, qui avait formé le précédent cabinet et qui se proposait de démolir celui-ci afin de reprendre les rênes du pouvoir, semblait justifier cette opinion de Sterne que les noms ont une signification. Doué d’une certaine éloquence d’autant plus sonore qu’elle sonnait creux, il était bien Théophraste, le « divin parleur », grâce à ses succès d’avocat chanceux. Mais son élocution facile était gâtée par un accent affreusement