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délicatement fluettes, irisé comme l’aile d’une libellule.

Et sa pensée volait vers ce Palais tout menu, sur le grand Canal, le Palazzino rosso où son poète et Barrès confabulèrent, assis dans l’étroit jardin « dont les arbustes se penchent vers l’eau par-dessus une balustrade de marbre. »

Tout le restaurant évoquait l’image d’une corbeille remplie de fleurs éclatantes. Des jeunes femmes s’épanouissaient, en toilettes diaprées, coiffées de chapeaux extravagants, petits comme des touffes de violettes ou démesurés comme des cloches de volubilis monstrueux, d’où s’échappaient des cheveux aux teintes d’herbes roussies par la morsure du soleil ; leur visage dessiné au pinceau, en tonalités exquises, imitait la corolle délicate et rose des églantines.

De ce parterre vivant montait un bruit confus, une rumeur joyeuse qui semblait prendre à tâche de bafouer la tristesse de Fanny.

Elle murmura âprement :

— Ah ! C’est ce sale monde qui m’a perdue !

Elle revivait en une minute son enfance singulière : petite fille isolée qui admirait en toute