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« Mes chers amis,

» Voulez-vous nous faire le plaisir, à mon mari et à moi, de venir dîner samedi prochain, à la maison ? Nous comptons absolument sur vous : aucune excuse ne sera valable. Et, comme il a été convenu de part et d’autre, ce sera absolument sans cérémonies : une soirée d’intimité qui nous réunira tous quatre.

» Votre bien affectionnée :

» Marie Verdurin. »


Cette invitation était adressée à M. et Mme Jean et Yvonne Raymond.

— Flûte !… Flûte !… et flûte ! s’écria Jean, lorsque sa femme eut terminé la lecture de la lettre. As-tu remarqué ceci : les hôtes qui vous nourrissent mal ont toujours la rage de vous inviter le plus souvent possible — infortunés convives ! — à vomir leur cuisine ignoble. Je n’irai pas chez les Verdurin.

— Pourtant, mon ami, objecta doucement Yvonne : madame Vendurin est une brave femme, une vieille amie à maman. Il ne faut pas être malhonnête avec elle. Il est vrai que, par raison économique, elle ne nous offre pas précisément des festins de Lucullus, mais…

— Yvonne, ta vieille amie me dégoûte. Autant je m’incline avec respect devant le brouet spartiate de l’ami pauvre, qui s’est imposé des privations afin de me posséder à sa table ; — autant l’avarice mal comprise d’une coquette ridicule me répugne. Comment : madame Verdurin met des bagues à tous les doigts, des colliers de diamants sur sa vilaine poitrine, exhibe ses plus belles toilettes pour nous accueillir, nous éblouir ; — et son repas n’est pas mangeable ; sa nappe (sous le chemin de table qui la recouvre mal) n’a pas même été changée (les blanchisseuses prennent si cher !) ; son argenterie sonne creux et ses verres de Bohême sont remplis d’un vin infect ! Ah !… Non. Si vous voulez faire de l’ostentation, bonnes gens, commencez par m’accorder un beefsteak : ven-