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Allemands. Il était étreint d’une angoisse sourde à se revoir en cet endroit familier qui lui rappelait tous les souvenirs de l’année passée.

Au lendemain d’une nuit d’insomnie, dont il avait compté les heures, — étendu dans son lit, les poings aux oreilles, les paupières fermées, voulant se forcer au sommeil qui eût apaisé sa surexcitation ; — René, sortant dès le matin afin d’échapper à sa famille, avait couru chez le peintre Simon et chez Paul Dupuis, s’assurant du concours de ses deux intimes au cas d’une rencontre probable.

Maintenant, il se présentait à l’hôtel de celui qu’il considérait déjà comme son adversaire ; et il éprouvait une fièvre d’impatience, mélangée d’anxiété, à la pensée de se retrouver enfin face à face avec le calomniateur.

— M. Hans Schwartzmann ?

— Il est sorti.

La déception de René fut extrême. La fatigue accablante d’une journée de chemin de fer, entre deux nuits blanches, et les émotions récentes exaspéraient ses facultés sensitives. Ce retard l’affola. Son imagination émit les pires hypothèses en une seconde ; et il cria presque, d’une voix enrouée : Il est reparti ?

La curiosité qu’il lut dans les yeux du domestique qu’il interrogeait contraignit René de se dominer. Il dit, plus calmement :

— J’ai absolument besoin de voir M. Schwartzmann… Savez-vous quand il rentrera ? Dîne-t-il ici ?

— Probablement, Monsieur.

René Bertin sortit lentement de l’hôtel ; il se morigéna de n’être pas venu dans la matinée ; à présent, il lui semblait que Hans allait lui échapper.

— M’sieur !

René se retourna. Le petit chasseur que Fischer avait questionné tout à l’heure rattrapait le jeune Bertin.

Le gamin avait vu le sculpteur entrer au Continental ; il l’avait entendu demander Hans Schwartzmann avec la voix agitée d’un homme bouleversé.

Il devina que ce monsieur donnerait beaucoup pour savoir où se trouvait l’Allemand ; et il eut l’idée de le lui apprendre, moyennant peu de chose.

Il chuchota, en avançant à demi sa paume qui se creusait en forme de sébile :

— Le type que vous vouliez voir, il est allé passer la journée au Casino d’Enghien, avec sa « dame »… Vous avez encore le temps de les rejoindre.

Le petit chasseur détala gaiement, en glissant dans son gousset le pourboire de René ; — et riant sous cape à la pensée qu’il venait peut-être d’envoyer à la poursuite de l’Allemand un créancier ou un tapeur, car il avait classé René dans l’une de ces catégories d’après son insistance et sa précipitation.

Cependant, le jeune homme n’avait point l’intention de courir à la recherche de Hans. Il était pleinement rassuré ; on lui avait donné la certitude que Schwartzmann serait là, ce soir : il était allé à Enghien, avec sa « dame… » Il s’amusait. Et il avait eu l’inconscience et l’impertinence de descendre au même hôtel, à quelques mètres de cette rue de la Paix, où il s’était aventuré certain soir, dans l’espoir d’y découvrir un magasin de modes à l’enseigne d’« Aimé Bertin, modes et fourrures… » Un hasard pouvait le remettre en présence de Jacqueline ou d’Aimé, ses voisins ; mais il se promenait insouciamment avec sa femme. Ils passaient sans doute devant la boutique, en jetant un coup d’œil distrait sur les chapeaux. Ils se divertissaient paisiblement, installés au centre luxueux de la ville ; et c’étaient les droits