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lianes trempaient dans le lac assombri d’ombres ; et Hans voyait papilloter des petites lumières d’eau claire entre les interstices des branches.

La promenade terminée, Hans Schwartzmann et ses compagnons entrèrent dans le casino. Hermann et Caroline s’arrêtèrent à la salle de lecture. La jeune femme s’intéressa aux illustrés qui jonchaient la table centrale ; et Fischer fourra subrepticement dans sa poche un paquet de cartes-lettres à l’entête du cercle, afin de rédiger ultérieurement sa correspondance intime sur du papier gravé aux armes d’Enghien.

Hans Schwartzmann pénétra dans les salons de jeu.

Des êtres au regard fixe grouillaient autour des tables. Le bruit monotone des râteaux raclant l’argent avec un crissement métallique accompagnait la voix des croupiers annonçant :

— As, numéro un !

Hans Schwartzmann appela le changeur, d’un signe. Il pontait paisiblement, avec le calme enjoué de celui qui tente les aléas du gain sans redouter la perte d’une somme légère, sacrifiée d’avance au plaisir.

Hans Schwartzmann s’amusait, se délassait — sans souci.

Cet homme était doué du tempérament égoïste des passionnés : l’amour effréné de son art l’assimilait aux ivrognes ou aux vicieux qui n’ont pour objectif que la force de leur désir, sans envisager les conséquences qu’il peut entraîner. Hans ne s’intéressait qu’à une chose : son œuvre du moment. Il oubliait le labeur de la veille ; et ce n’était qu’à l’instant de terminer l’ouvrage en train, qu’il s’accordait quelques minutes de relâche pendant lesquelles il cessait d’y penser. Puis, la besogne achevée, il s’en détachait peu à peu, repris par l’instinct créateur de rêver au livre futur.

Déjà, Schwartzmann étant hanté par le projet d’un scénario de drame ; il devenait indifférent à son dernier roman, Eine französische Familie parce qu’il était fini, qu’il avait paru et se vendait brillamment. Hans ne se préoccupait guère du sujet de ce livre qui l’avait actionné à sa table de travail, jour et nuit, durant huit mois. Et il ne songeait pas plus que, sur les cinquante mille exemplaires répandus à travers le monde, il suffirait qu’un seul tombât sous les yeux des intéressés pour jeter le désespoir et le désarroi dans « une famille française… »

Sa moralité d’écrivain — toute spéciale — consistait à parer ses héros de vertus chrétiennes, à leur faire parler le langage de l’honneur, à prôner la noblesse et la dignité, afin d’exercer une salutaire influence sur le public allemand, dont la faveur s’attache ouvertement aux romans chastes et aux œuvres saines, — s’il lit les autres en secret.

Mais Schwartzmann ne croyait pas agir contre sa conscience, lorsqu’il s’agissait de commettre une vilenie pour écrire un livre.

Cette déformation du jugement, chez l’homme qui a pour profession de penser, n’est qu’une hypertrophie d’orgueil : qu’importent les victimes, en regard de l’œuvre ?

Et Hans Schwartzmann jouait tranquillement à la boule avec la satisfaction d’un bourgeois sans reproche, qui se délecte aux attractions qu’il rencontre sur sa route, et sourit placidement, parce qu’il a l’esprit en repos et la certitude de ne point nuire à son prochain.

René entrait dans le hall de l’Hôtel Continental peu après le départ des