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entre des sentiments contraires, liée par le sang à nos adversaires, tu aurais peut-être donné naissance à un Allemand à l’heure où les Allemands eussent tué ton frère… Non, tu n’as pas réfléchi aux conséquences d’une union pareille… Jacqueline, ma petite enfant, dis-moi que ce n’est pas cela que tu regrettes !

Jacqueline balbutia, en éclatant en sanglots :

— Ah ! Je ne sais plus… Je ne sais plus : j’ai du chagrin ; et je ne sais plus ce que j’éprouve !…

Le trille aigu du timbre de la porte d’entrée interrompit tiet cette scène de famille.

Jacqueline et les deux hommes se regardèrent interdits : qui pouvait les déranger à pareille heure ?

Mais on entendait des voix, des exclamations, dans l’antichambre.

Jacqueline, appréhendant une visite nocturne et se souvenant de sa tenue négligée, s’apprêtait déjà à fuir du salon, lorsque la femme de chambre fit irruption en annonçant :

— C’est M. René !… C’est M. René qui est revenu !

René entrait. Il tendit sa valise à la domestique en disant :

— Portez cela dans ma chambre, Léonie.

Aimé Bertin eut l’intuition d’une nouvelle calamité : son fils était pâle… et ce retour imprévu… Le modiste souhaita éperdument d’ignorer ce qui ramenait René. Et, forcé de poser la question nécessaire et redoutable, Aimé demanda avec une niaiserie ingénue :

— Comment se fait-il que tu reviennes déjà ?… Tu avais oublié quelque chose ?

— Je t’expliquerai, papa, répliqua brièvement le jeune homme.

Il s’approcha de son grand-père, afin de procéder aux effusions familiales. Mais, soudain, il s’aperçut de l’attitude étrange des siens : la figure congestionnée, les traits crispés de Michel dont les mains tremblaient : la fausse bonhomie et les regards inquiets du modiste ; le visage bouleversé de Jacqueline, en chemise de nuit au milieu du salon… tout cela dénotait un événement insolite.

La surprise que manifestaient ses parents en le revoyant était mitigée par une autre émotion.

René questionna :

— Qu’est-ce que vous avez ?… Vous vous disputez ? Jacqueline a pleuré.

Malgré les signes suppliants que lui adressait le modiste, Michel Bertin riposta :

— Il y a que ta sœur était en train de m’accuser d’avoir brisé sa vie en empêchant ce M. Hans Schwartzmann de demander sa main. Aujourd’hui, ton Allemand est marié ailleurs, ta sœur se désole et me reproche d’être la cause de tout. Il paraît que tu étais au courant de cette amourette clandestine, toi…

René considéra fixement le vieillard ; ses yeux furent pleins de larmes, tout à coup. Il sembla hésiter… Puis, d’un geste résolu, il fouilla dans la poche de son manteau de voyage, en sortit un volume tout froissé. Et, jetant le livre aux pieds de Jacqueline, le jeune homme cria d’une voix rauque :

— Tiens ! Lis ça… Et puis, après… Va embrasser grand-père !




V


— Nous voulons l’adresse pour aller dans une distraction amusante d’après-midi, Madame, Monsieur et moi.

Planté au milieu de l’hôtel, le gigan-