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— Au revoir… À l’année prochaine ! disait Schwartzmann.

Il regardait le frère et la sœur qui semblaient s’éloigner de lui, emportés en arrière avec le quai, les voyageurs, le hall de la gare, grâce à l’effet d’optique du train en marche.

Il parut à Hans que c’était Paris tout entier qui se reculait ainsi, ramenant à soi ses maisons, ses habitants, ses biens, — tel le flot se retire à l’heure du reflux.

Tout à coup, changeant de physionomie, Hans Schwartzmann eut une expression de gaîté gouailleuse qui lui était inhabituelle ; et il cria moqueusement, en agitant sa main vers la masse indistincte des gens restés sur les quais de la gare :

— Adieu… adieu… Stock Franzos !



DEUXIÈME PARTIE


I


Un dimanche de septembre 1913 où le temps pluvieux l’avait cloîtré au logis, Aimé Bertin lisait les journaux dans le pimpant salon du boulevard Haussmann ; tandis que René jouait aux échecs avec son grand-père et que Jacqueline, regardait les passants se promener piteusement sous leurs parapluies.

Tout à coup, le modiste s’écria :

— Le Matin organise une nouvelle fête de l’aviation. Les expériences auront lieu à l’aérodrome de Buc, dimanche en huit… Dis donc, Jacqueline, te rappelles-tu la promenade à Buc avec les Fischer, le jour où vous n’êtes jamais parvenus à nous retrouver, Schwartzmann et toi ?… Dire que le mois prochain, il y aura un an de cela ; comme le temps passe !

Michel Bertin foudroya son fils du regard, en annonçant d’une voix tonitruante : Échec à la dame !

Puis il grogna tout bas :

— Il y avait longtemps qu’on n’avait pas parlé de ces Ostrogoths-là !

Aimé Bertin s’était replongé dans son journal. Soudain, levant la tête, il reprit suivant sa pensée :

— Drôles de types que les étrangers : ils ont leur politesse à eux, sans doute ; car, à notre point de vue, ils manquent vraiment de savoir-vivre !… Tiens, par exemple : je ne comprends pas bien pourquoi Hans Schwartzmann, qui est un homme de bonne compagnie et que nous avons reçu si aimablement, ne nous a pas donné signe de vie depuis son retour à Berlin. Il me semble que la courtoisie la plus élémentaire eût dû lui dicter quelques lettres… Il n’a même pas écrit à René !

Ostensiblement crispé, le grand-père déclara violemment :

— René !… Tu joues mal, mon ami : tu n’as pas vu qu’en déplaçant ton cavalier, tu découvrais ta tour !

Le modiste ne comprit point. Il poursuivait avec innocence : Ah ! Fichtre oui, le temps passe vite… Je me souviens de la première visite de Schwartzmann, comme si c’était hier… Il entra et se tint au milieu du magasin, les épaules droites, les talons joints, raide et gourmé ; un vrai mannequin… Je le surveillai du coin de l’œil et je vis Jacqueline aller vers lui… C’était ce fameux mois où, gardant tout un stock de marabouts en souffrance, je lançai la mode des étoles de marabouts afin de m’en débarrasser…

Jacqueline quitta la fenêtre et sortit tout doucement.

Quand la partie d’échecs fut terminée, René alla rejoindre sa sœur.