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Il alla embrasser Jacqueline.

Hans Schwartzmann considérait d’un air affectueux Jacqueline et son frère. Il réfléchit un moment ; puis, dit à René :

— Mon cher, l’aveu que les circonstances m’ont forcé de faire vous explique mes fréquents entretiens avec votre sœur, le plaisir que j’éprouve auprès d’elle : il est passionnant pour moi d’étudier son caractère et sa nature. Je vous ai dissimulé mon inclination jusqu’ici parce que le projet qu’elle nécessite me paraît difficilement réalisable, pour l’instant. Votre père me semble un homme faible et bienveillant : il approuverait peut-être le mariage de sa fille avec moi : saurait-il l’imposer ?… J’en doute. J’ai senti dès le premier jour que je possède un ennemi dans votre famille. Puis-je me déclarer ouvertement, sans craindre une résistance redoutable de la part de votre aïeul ? Il a l’air de souffrir physiquement quand il me voit ; ses yeux me reprochent de prendre une place à son foyer. Je ne veux pas être le sujet de dissensions familiales, toujours si pénibles… Et voici quelles sont mes intentions : je suis obligé de retourner à Berlin dans quelques jours ; j’ai là-bas une pièce en répétitions ; un procès contre un imprésario, diverses affaires qui exigent instamment ma présence… Je repartirai en même temps que mes amis Fischer. Je compte passer l’hiver et le printemps dans mon pays. L’année prochaine, je reviendrai parmi vous : votre sœur ne sera plus une enfant contrainte de s’incliner devant la volonté d’un père ou d’un grand-père… Elle aura vingt et un ans. Sa majorité lui donnera le droit d’exprimer librement son choix et sa volonté. Ce jour-là, nous parlerons sans crainte, parce que notre résolution sera inattaquable… En attendant, je juge préférable de garder le secret sur nos désirs… Votre sœur ne peut se marier sans le consentement de sa famille avant un an : alors, à quoi bon passer ces quelques mois d’attente en discussions, en peines, en guerre intime ?… Il vaut bien mieux frapper le grand coup une seule fois. C’est ainsi que les stratèges enlèvent les places réputées inexpugnables. Ne trouvez-vous pas que mon dessein est très raisonnable… ? N’est-ce pas, René ?… N’est-ce pas, Jacqueline ?…




X


Dans les premiers jours de décembre, les Fischer annoncèrent qu’ils quittaient Montluçon. De retour à Paris, ils n’y passèrent que quarante-huit heures, afin d’attendre Schwartzmann qui rentrait à Berlin avec eux.

Le soir de leur départ, les trois Allemands furent invités à dîner par Aimé Bertin.

Chaque convive accueillit ce repas d’adieu suivant les pensées qui le préoccupaient.

Jacqueline contemplait rêveusement son couvert intact.

Hans gardait une attitude sévère, absorbé dans une songerie taciturne.

René réfléchissait ; on le sentait détaché de tout ce qui l’entourait.

Pour la première fois, Michel Bertin souriait en regardant les hôtes de son petit-fils. Le grand-père était si joyeux de penser que, demain, ces gens-là ne seraient plus à Paris, qu’il se montrait presque aimable envers eux.

Seuls, Hermann, Caroline et M. Bertin conservaient leurs sentiments habituels. Fischer manifestait autant de plaisir à l’idée de revoir son pays, qu’il avait