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Le vieillard possédait une auxiliaire ignorée : Luce Février.

La jeune actrice témoignait un intérêt ardent à ces privilégiés dont on lui parlait souvent et qu’elle connaissait à peine ; qui occupaient, à son point de vue, une situation sociale trop élevée ; et qu’elle réunissait sous cette appellation prononcée avec componction : « la famille de René » !

Elle se préoccupait toujours de la santé du grand-père, bien qu’elle ne l’eût jamais rencontré. Chaque fois qu’elle passait rue de la Paix, elle considérait la boutique d’Aimé Bertin avec un demi-sourire, songeait : « Dire que je n’oserais pas entrer, même sous le prétexte d’essayer un chapeau — et que je serai peut-être sa bru, un jour… C’est drôle, la vie ! »

Mais l’attention de Luce se portait surtout vers Jacqueline, cette Jacqueline amicale et charmante qui la traitait déjà en belle-sœur.

Et comme René la tenait au courant de leur vie quotidienne, Luce finit par lui demander :

— Ah ! ça… Vous aimez donc tant ce Schwartzmann que vous envisagez sans déplaisir l’hypothèse de son mariage avec Jacqueline ?

— Mais vous rêvez ! protestait René. Hans ne songe guère à ma sœur…

— Ils sont toujours ensemble — et seuls… C’est un flirt sérieux.

— Cela ne prouve rien… Étant données les mœurs allemandes… Les jeunes gens des deux sexes vont même jusqu’à faire des voyages en tête-à-tête, sans aucun marivaudage… yankee. Et puis, voyons, Luce… Schwartzmann est vieux par rapport à Jacqueline ; il a quarante ans ! Elle ne peut pas le considérer comme un amoureux possible.

Luce toisait les vingt-cinq ans ingénus de René ; et elle murmurait, avec une tendre ironie :

— Grand gosse !

Elle poursuivait :

— Mon cher René, je crois fermement que l’intimité d’un homme et d’une femme — si la femme est jeune et jolie et si l’homme possède quelque attrait — ne peut aboutir qu’à l’amour, sous l’une des trois formes que ce mot présente : passion, passade ou pariade. De quelle manière a commencé notre liaison d’Aix : par des entrevues journalières répétées, recherchées, suscitées… Pensez-vous que nous fussions demeurés amis, si l’amour ne s’en était pas mêlé ?… Lorsqu’un monsieur se plaît en compagnie d’une dame, c’est d’abord par sympathie ; c’est ensuite par un besoin plus tendre ou plus vif : sentimentalité ou désir… Quand ce besoin tarde à paraître, la fatuité de l’un et le dépit de l’autre amènent me rupture amiable… L’amitié entre les deux sexes n’est qu’une coquetterie du cœur : nous avons l’air de jouer aux jeux innocents, mais nous sommes fâchés qu’on nous prenne au mot… Or, il y a plus de deux semaines que Schwartzmann et Jacqueline vivent dans une camaraderie quasi-compromettante, et ils semblent loin de s’en déclarer blasés… Concluez.

René restait rêveur ; les paroles de Luce l’avaient frappé. Il murmura :

— Oui, vous avez raison… Les prévenances de Hans sont plus qu’affectueuses… J’irai le voir bientôt… aujourd’hui même… Et je tâcherai de savoir s’il agit sans arrière-pensée, ou s’il aime véritablement ma sœur.