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de l’Opéra. Il remonta la Chaussée d’Antin, déboucha place de la Trinité, et s’engagea dans la rue Blanche. Hermann qui s’orienta, grâce à quelques remarques faites précédemment, recommença d’espérer en reconnaissant le quartier. Il eut même un geste machinal pour stopper devant un immeuble dont la porte était éclairée par une lumière rosée qui venait de l’imposte.

Mais Maurice Simon l’entraîna plus loin. Soudain le peintre, désignant une maison, dit :

— C’est là que j’habite ; le spectacle auquel vous assisterez a lieu à deux pas de mon domicile.

Il traversa la rue, et cogna contre le vantail d’une boutique close qui s’entr’ouvrit doucement, comme à quelque signal convenu d’avance. Le peintre adressa la parole à un interlocuteur invisible qui répondit, de l’intérieur :

— Entrez, Monsieur Simon… Tout de même, c’est une drôle d’idée que vous avez là… Si vous n’étiez pas mon client !

Maurice fit signe à ses compagnons. Ils se glissèrent, tour à tour par la porte entrebâillée. Les jeunes filles pouffaient, chuchotant d’une voix étouffée.

À présent, Hermann était plongé dans l’obscurité. À force d’écarquiller les paupières, il finit par distinguer une vague forme humaine qui s’agitait au fond de la pièce, promenant une petite lampe électrique, qui jetait des éclairs brefs, puis s’éteignait subitement.

Fischer huma l’arôme étrange qu’exhalait la boutique : un parfum spécial et pourtant familier qu’il lui semblait reconnaître sans pouvoir en préciser la nature. Ce mystère enchanta l’Allemand. Quelle aventure bizarre le peintre allait-il leur offrir, dans ce décor singulier ? Fischer, qui suivait Maurice à tâtons en s’agrippant à son pardessus, rêvait déjà de messe noire ou de sorcellerie graveleuse.

Tout à coup. Hermann fut sur le seuil d’un antre illuminé par une lueur infernale. Une chaleur intense lui brûla les yeux. Et il vit… Parmi des flamboiements d’incendie, deux hommes, nus jusqu’à la ceinture ; l’un promenant un écouvillon dans la gueule rouge d’un four, tandis que l’autre préparait des combustibles : deux ouvriers boulangers entretenant le feu qui cuirait le pain du matin.

Implacable, Maurice Simon obligea les Allemands de supporter plusieurs minutes la température suffocante qui leur desséchait les poumons. Puis, ils remontèrent à l’air pur avec un soupir de soulagement.

Sur la chaussée, trois fiacres maraudaient à la queue-leu-leu. Paul Dupuis appela les cochers.

— Où allons-nous, maintenant ? questionna Hermann, défiant.

— Aux Halles ! répliqua triomphalement l’architecte.

Hans Schwartzmann intervint ; posant sa main sur l’épaule du jeune homme, il protesta de sa voix grave :

— Inutile, Monsieur : nous avons compris.

Il continua, avec cette aménité persuasive qui succédait parfois à sa morgue :

— Vous nous avez donné une leçon : je l’accepte, car elle est spirituelle et courtoise. Mon ami confondait Paris avec Suburre : vous lui avez rappelé qu’à l’ombre de Suburre, fleurit la vertu romaine. Il s’était laissé tromper par les vantardises de certains Français qui revendiquent le privilège du libertinage : vous lui avez prouvé qu’ici — comme partout — à côté d’une poignée de débauchés, existent des milliers de