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jurer de rien. Mais avec un Allemand : ça, je suis sûre que je ne pourrais jamais.

Cette fois. Hermann se tut, froissé.

Moins exercé que Hans dans sa connaissance de la langue française, il n’avait pas saisi le sens exact des paroles de Luce.

Mais à cet instant, René les interpellait :

— Allons, voyons, les retardataires !… Nous sommes à la première halte de la fête promise.

Fischer pressa le pas, comptant se dédommager de sa déconvenue.

Les noctambules se trouvaient sur les grands boulevards, devant la façade d’un vaste immeuble couvert d’inscriptions que l’obscurité rendait indéchiffrables. Seul, un globe électrique restait allumé au-dessous d’une marquise, éclairant l’entrée du rez-de-chaussée vitré, Hermann, entraîné par ses compagnons, pénétra dans le vestibule avant d’avoir compris quel était l’établissement où René les conduisait.

L’Allemand devina aisément qu’il ne s’agissait point d’un restaurant de nuit ; car, l’on n’entendait, en guise de musique, qu’un bruit sourd et continu accompagné d’une trépidation confuse.

Hermann vit s’approcher un individu vêtu comme un huissier de ministère, à qui René dit :

— Prévenez le rédacteur en chef que c’est son ami, le sculpteur Bertin, qui lui a téléphoné cet après-midi…

Alors, Fischer s’aperçut qu’il était dans le hall d’un grand quotidien ; il pensa que René allait inviter quelque journaliste à se joindre à leur bande. Mais l’huissier réapparaissait ; ouvrait une porte devant eux, et murmurait :

— Par ici, Messieurs, Dames.

En considérant l’endroit dans lequel on l’introduisait, Hermann comprit d’où venait le bruit entendu auparavant. Il était sur une espèce de balcon surplombant les sous-sols du journal où, s’actionnant aux rotatives, travaillaient une armée de typographes. Le vacarme des machines était assourdissant ; et René dut hurler ces mots :

— Que pensez-vous de mon divertissement favori, mes amis ? N’est-ce pas supérieurement original de voir imprimer les journaux que nous lirons dans quelques heures ? Examinez ces gens qui font glisser les feuilles de papier sur les rouleaux… Sont-ils heureux, hein !… Ont-ils de la veine ! ils passent leur nuit à gagner de l’argent… Vous vous demandiez où nos compatriotes s’amusent ?… Eh bien, contemplez ceci, Fischer : c’est une catégorie de Parisiens qui découchent en abandonnant leur femme au logis.

Hermann l’écoutait d’un air hébété. Il n’avait aucun plaisir à regarder ces hommes et on lui avait promis de l’initier à des joies rares : en quoi consistait la surprise galante ? Incapable de se rendre compte des bévues qu’il commettait, Fischer était à cent lieues de se douter qu’on le mystifiait. À quel propos René Bertin l’eût-il berné ? Hermann lui témoignait cette confiance candide de ceux qui se croient innocents, parce qu’ils nous ont offensés sans discernement.

Mais Hans Schwartzmann, silencieux, observait les scènes qui se déroulaient sous ses yeux.

René les faisait sortir du journal. Lorsqu’ils se retrouvèrent sur le trottoir, Maurice Simon déclara :

— C’est à mon tour de prendre la direction de la fête. Suivez-moi : je vais vous montrer une chose curieuse.

Et le peintre les emmena du côté