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même voix qui vient de me blesser ». Puis, elle ajouta : « Ce n’est pas sa faute. Nous appartenons à des religions différentes : ses dieux ne sont pas les miens. Moi, on m’a appris à dire mes oraisons à voix basse ; mais lui, il prie à tue-tête comme les muezzins. »

Depuis un moment, la route était sillonnée d’autos et de véhicules de toutes sortes qui filaient dans la même direction. Au fur et à mesure que l’on avançait, le mouvement s’accentuait.

— Nous ne retrouverons jamais papa, au milieu de cette cohue, remarqua Jacqueline.

Lorsqu’on passa l’aqueduc de Buc, Schwartzmann poussa une exclamation de contentement : le paysage entrevu entre les hautes arches lui agréait enfin.

Puis, on aperçut au loin les tribunes roses de l’aérodrome Blériot, les plateaux d’herbe rase où grouillaient une multitude de spectateurs. Dès que l’on approcha, Jacqueline, qui détestait la foule, fut rebutée à la vue de ce monde. Pour un peu, elle eût demandé à s’en retourner.

— Descendons, proposa Hans, voyant que l’auto, bloquée, ne pouvait aller plus avant.

Ils durent se glisser malaisément parmi des jambes traîtreusement avancées, des bras pointus aux coudes saillants qui leur disputaient le passage, opposant une résistance sournoise de mauvaises bêtes humaines.

Jacqueline, incommodée, un peu maussade, se serrait contre son compagnon. Elle gémit :

— J’ai froid.

Cinglée par l’air vif qui lui glaçait le bout du nez et le lobe des oreilles.

Schwartzmann, assurant son binocle, regardait vers le ciel où trois appareils étaient en train d’évoluer. Le ronflement des moteurs se percevait ainsi qu’une formidable crécelle.

Jacqueline, qui avait oublié son frère tant qu’elle s’amusait, se mit à penser soudainement à René parce que la populace qui s’agitait autour d’elle, le froid de cette journée pluvieuse et le dépit de voir Hans se désintéresser d’elle momentanément, l’imprégnait d’une détresse obscure qui l’attendrissait.

— Regardez ! disait Schwartzmann.

Jacqueline, presque aussi myope que Hans, mais ne portant pas de lorgnon par coquetterie, avait beau s’efforcer de distinguer quelque chose : dans cet espace immense où une ligne à peine plus grise indiquait l’horizon, ces vagues objets noirs et blancs qui montaient et descendaient, d’un vol indécis, l’émouvaient peu d’être si semblables à quelque oiseau véritable. Comment se représenter qu’il y avait un homme, là dedans ?

Les vociférations du public agaçaient les nerfs de Jacqueline, elle avait l’impression de se trouver dans une fête foraine, insensible à la grandeur du spectacle. Et la jeune fille, reprise par son affection fraternelle, songeait :

« Mme Lafaille doit être arrivée, à présent… Qu’est-ce qu’elle pense ?… Que lui dit-elle ?… Mon Dieu ! Si j’avais su, je serais restée avec eux… J’ai hâte d’être fixée, maintenant… Et je m’ennuie, près de cet homme qui regarde en l’air. »

Là-haut, un aviateur exécutait une série d’exploits hardis ; décrivant des virages impressionnants, se retournant dans une série de vols renversés ; semblant défier l’accident toujours possible qui l’écraserait peut-être un jour sur le sol d’une plaine, tel un pigeon fracassé par un coup de fusil.

La foule s’enthousiasmait. Malgré lui,