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et frotta minutieusement les verres polis entre deux plis de son mouchoir, d’un air méditatif. Puis, ses yeux vagues de myope se posèrent sur Michel Bertin ; et il répliqua, avec une affabilité marquée :

— Monsieur, vous vous imaginez, d’après les premières paroles que j’ai prononcées devant vous, que je donne dans le travers reproché à mes compatriotes en revendiquant pour nous toutes les suprématies. Non… Je crois que je ne manque pas de tact, mais je suis très franc… Je dis que Paris me semble un séjour désagréable et déprimant, inférieur à celui de mon pays, parce que c’est vrai… Vous seriez en droit de me juger partial — ou borné — si je me livrais à quelque maladroite comparaison à la vue, par exemple, de Mademoiselle votre petite-fille… si je discutais la distinction de ses manières, et sa grâce… si je prétendais qu’il fût possible à une autre femme de nous faire éprouver mieux l’exquise sensation que fut, tout à l’heure, l’apparition de cette robe rose au seuil de ce salon, de procurer à nos regards une ineffable jouissance, avec des riens : un geste, une démarche, un sourire, quelques chiffons bien chiffonnés ; ce que j’appellerai, enfin, le cachet national… Ai-je cette outrecuidance ?… Mais je suis sincère avant tout, Monsieur.

Ses propos s’adressaient à Michel tandis que ses yeux clairs détaillaient hardiment Jacqueline.

Aimé et René Bertin entrèrent sur ces entrefaites. Jacqueline profita du brouhaha des salutations pour se glisser auprès de son grand-père et questionner à voix basse :

— Eh bien ! Qu’est-ce que tu en penses, de Hans Schwartzmann ?

— Je pense que c’est un homme qui a trouvé le moyen de caser dans une seule phrase — assez longue, je l’avoue — ces trois mots : franc, vrai, sincère… Or, les gens qui emploient trop souvent ces termes-là, me font l’effet des monuments qui portent sur leur façade l’inscription : Liberté, Égalité, Fraternité : ce qui se passe à l’intérieur justifie rarement l’étiquette.

Jacqueline ébaucha une petite moue de contrariété : les compliments de Schwartzmann l’avaient flattée.

Durant le dîner, elle ne cessa d’observer l’écrivain assis à sa droite. Au rebours de ses amis qui mangeaient abondamment, Hans — dyspepsique — se montrait fort sobre, touchant à peine aux plats et refusant tous les vins. Ce qui lui permit de se révéler causeur brillant, au langage littéraire, à l’intelligence profonde. Le seul défaut qu’on eût pu lui reprocher était une certaine propension à s’éterniser sur le même sujet ; mais, comme Jacqueline avait l’habitude essentiellement féminine de causer à bâtons rompus et passait d’une question à l’autre sans aucun motif, la conversation y gagna un charme étrange : les paroles réfléchies de l’Allemand et les propos décousus de la Parisienne alternant à la façon de ces strophes où l’octosyllabe sautillant succède à l’alexandrin.

De son côté, Hermann Fischer avait entrepris, en chaque bouchée, de se raconter à Aimé Bertin dont le visage aimable l’attirait. Le gros garçon, étant à la tête d’une grande fortune et d’une bonne santé, estimait que la vie est une excellente invention. Une affaire réclamait sa présence à Montluçon, où il possédait des forges. Si Schwartzmann paraissait peu satisfait de Paris, par contre, Hermann était enchanté de son voyage en France, s’exclamant de plai-