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nard, un tel sursaut m’a secoué tout à coup de ma somnolence, une telle horreur a hérissé ma chair tandis que je fermais les yeux en pressant la détente… que je peux te le dire avec certitude, mon petit ami : tu viens de me raconter des bêtises en reniant la parenté de sang qui unit les hommes d’une même race. Si tu as jamais le malheur de connaître des temps semblables, René, tu comprendras à ma façon ce que j’ai si bien senti, quoique je l’exprime si mal… Et cela te fera admettre, qu’à près d’un demi-siècle, j’éprouve encore une répugnance extrême à recevoir ici un Hans Schwartzmann comme hôte.

Jacqueline — qui avait hérité de l’esprit positif et malicieux de son père — objecta :

— Toutes ces histoires-là ne sont pourtant pas de sa faute, à ce pauvre Schwartzmann : il n’était pas né, en 1870 !

— Ce qui ne l’a point empêché de publier ce livre méprisable : L’Avenir du Voisin, répliqua Michel.

René protesta, caustique :

— Ou ! grand-père… Si tu savais quel sceptique indifférent aux polémiques était Hans Schwartzmann, lorsque je l’ai connu !… Mais, que veux-tu : il faut vivre… et les pamphlets des pangermanistes se vendent comme des petits pains. Je fais bien du bronze de commerce, moi, quand je suis à court d’argent de poche. Ces sortes d’écrits de Hans sont des attrape-nigauds… ils n’est pas convaincu.

— Est-ce une raison pour le traiter impoliment ? insista Jacqueline.

Aimé Bertin intervint :

— Père, ces enfants parlent avec raison. Ne leur prêche point les passions outrées. Les vieilles rancunes sont plus efficaces lorsqu’elles couvent obscurément au fond du cœur que lorsqu’elles s’épanouissent sur nos lèvres : la parole est une plante stérile qui se fane aussitôt fleurie ; nos sentiments cachés ont des racines profondes. Et soyons modérés dans nos ressentiments…

Aimé termina, en regardant son fils :

— Comme dans nos sympathies.

Il eut son sourire heureux de superficiel bienveillant, croyant avoir trouvé le dénouement qui contenterait tout le monde : on recevrait ce Schwartzmann, mais sans trop d’enthousiasme, — voilà !

Cependant, Michel repartait fougueusement :

— Alors, tu t’imagines que tes enfants ont changé brusquement d’opinion par simple correction, pour observer une attitude noble et diplomatique ?… Tu penses que deux gamins de vingt et de vingt-cinq ans seraient capables de brider leur belle impétuosité de jeunes, sans autre motif ? Mais, si c’était ça, je serais le premier à m’incliner devant une retenue aussi rare… Non !… René et Jacqueline n’ont pas réprimé leur haine héréditaire, simplement afin de rendre à un étranger son hospitalité aimable de jadis : René — surtout — qui avait cessé d’écrire à son ami allemand, depuis quelques années, repris par les sentiments qui règnent parmi nous… Si tes enfants manifestent tant d’entrain à l’idée d’héberger ce monsieur de Berlin, n’impute pas cela à la dignité, ni, même à l’amitié… La vraie raison de leur conduite, ce n’est que le snobisme : ils sont fiers d’afficher une connaissance illustre… Hans Schwartzmann, le célèbre écrivain : on se targue d’une telle relation !… Si leur bonhomme s’appelait obscurément Schmid, Rosenthal, ou Kœnig, ils raisonneraient autrement… Et c’est ce qui m’exaspère !

— Du snobisme ?… Nous ! Oh ! c’est un peu fort !…