Page:Manuel d’Épictète, trad. Thurot, 1889.djvu.pdf/51

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
XV

Souviens-toi que tu dois te comporter dans la vie comme dans un festin. Le plat qui circule arrive à toi : étends la main et prends avec discrétion. Il passe plus loin : ne le retiens pas. Il n’est pas encore arrivé : ne le devance pas de loin par tes désirs, attends qu’il arrive à toi. Fais-en de même pour des enfants pour une femme, pour des charges publiques, pour de l’argent ; et tu seras digne de t’asseoir un jour à la table des dieux1. Mais si l’on te sert et que tu ne prennes rien, que tu dédaignes de prendre, alors tu ne seras pas seulement le convive des dieux, tu seras leur collègue. C’est en se conduisant ainsi que Diogène2, qu’Héraclite et ceux qui leur ressemblent ont mérité d’être appelés des hommes divins, comme ils l’étaient en effet.

XVI

Quand tu vois quelqu’un qui pleure, soit parce qu’il est en deuil, soit parce que son fils est au loin, soit parce qu’il a perdu ce qu’il possédait, prends garde de te laisser emporter par l’idée que les accidents du dehors qui lui arrivent sont des maux. Rappelle-toi sur-le-champ que ce qui l’afflige ce n’est pas l’accident, qui n’en afflige pas d’autre que lui, mais le jugement qu’il porte sur cet accident. Cependant n’hésite pas à lui témoigner, au moins des lèvres, ta sympathie, et même, s’il le faut, à gémir avec lui ; mais prends garde de gémir du fond de l’âme.