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dans son unité ? La sagesse du stoïcien était donc, encore une fois, comme-un principe à part, rattaché sans doute au reste de l’univers par les liens d’une nécessité à laquelle rien n’échappait, mais existant néanmoins par lui-même tout aussi bien que ces forces particulières personnifiées sous les noms des dieux secondaires de la vieille religion nationale. Le stoïcien Cotta, que Cicéron fait parler dans un de ses Traités, dit fièrement : « A la vérité, les mortels tiennent des dieux les agréments et les commodités de la vie ; mais quant à la vertu, jamais personne ne l’a due à aucun dieu. » Avec Sénèque déjà, et surtout avec Épictète et Marc-Aurèle, le ton n’est plus le même. Que de fois nous allons entendre répéter par ces philosophes que nul n’est sage sans l’aide de Dieu ; que rien d’important ne peut être entrepris sans la permission et sans l’aide de Dieu ! Il ne sera plus désormais question que de soumission à la Providence ; et c’est uniquement dans cette soumission absolue que le sage retrouvera, sinon sa royauté dominatrice, du moins sa liberté.

Si cette humilité relative des nouveaux stoïciens est due à ce qu’ils s’inclinent davantage devant la nature divine, on ne doit pas être étonné de leur tendance au mysticisme. Et, en effet, c’est avec une sorte d’attendrissement qu’Épictète parle de Dieu : « Si j’étais un rossignol, dit-il, je ferais le métier d’un rossignol. Je suis un être raisonnable, il me faut chanter Dieu : voilà mon métier, et je le fais[1]. » Est-ce donc que Dieu est désormais pour l’école stoïcienne un créateur, un guide, un juge, dans le sens où nous l’entendons aujourd’hui, un être personnel enfin ? Sans doute, à force de réduire tous les êtres de l’univers et l’homme lui-même à n’être que des parties du grand Tout dont Dieu est l’âme et la vie, Épictète semble bien attribuer à Dieu une existence réelle. C’est, d’ailleurs, entre ces deux excès opposés qu’oscille tout panthéisme : ou il veut conserver l’indépendance des êtres, et alors réduire Dieu à n’être plus qu’un mot, une vaine abstraction ; ou il reconnaît pleinement l’être de Dieu, mais il absorbe tout en lui. Mais enfin, si le monde et l’homme ne sont point considérés comme

  1. Discours ou Entretiens, I, 16.