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qui donc t’a dit que ces biens dépendissent de nous et ne nous fussent pas étrangers ? Or, qui peut donner aux autres ce qu’il n’a pas soi-même ? Ils te disent : « Amasse du bien pour que nous aussi nous en ayons. » [Réponds-leur :]

3. « Si je puis en acquérir tout en conservant l’honneur, la bonne foi, la magnanimité, qu’on m’indique la route à suivre, j’y arriverai. Mais si vous voulez que je perde de vrais biens pour vous en faire acquérir de faux, voyez à quel point vous êtes iniques et déraisonnables. Que préférez-vous : de l’argent ou un ami fidèle et honnête ? Aidez-moi donc plutôt à rester cet ami-là et ne me demandez pas ce qui me ferait cesser de l’être. »

4. « Mais, diras-tu encore, je priverai, autant qu’il est en moi, ma patrie de mes services ! » Encore une fois, de quels services ? Sans doute, elle n’aura de toi ni portiques ni bains. Eh bien ! ce ne sont assurément pas les forgerons qui lui donnent des souliers, ni les cordonniers des armes. Il suffit que chacun fasse bien son métier. Et si tu lui fournissais quelque autre citoyen sûr et honorable, ne lui aurais-tu donc rendu aucun service ? Tant s’en faut ! Donc, toi aussi, tu peux lui rendre des services.

5. « Mais, dis-tu, quelle place aurai-je dans la cité ? Celle que tu pourras obtenir sans rien perdre de ta bonne foi, de ton honnêteté. Si, pour vouloir servir ta patrie, tu perdais ta vertu, de quoi lui servirais-tu donc une fois devenu impudent et perfide ?

XXV.

1. Un tel a été mieux placé que toi dans un festin, ou salué avant toi, ou appelé de préférence à toi dans un conseil. Si ce sont là des biens, félicite celui auquel ils arrivent. Si ce sont des maux, ne te plains pas qu’ils soient tombés sur un autre. Mais souviens-toi que si, pour obtenir ces distinctions qui ne dépendent pas de toi, tu ne fais pas ce que les autres font, tu ne peux y avoir le même droit qu’eux.

2. Comment reconnaître le même droit à celui qui ne fréquente pas la porte d’un homme et à celui qui la fréquente ? à celui qui ne l’a jamais escorté et à celui qui l’escorte ? à celui qui ne l’a jamais loué, et à celui qui le loue constamment ? Tu serais un injuste et un insatiable,