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XII.

1. Veux-tu faire des progrès ? Laisse là tous ces raisonnements : « Si je néglige mes affaires, je n’aurai plus de quoi vivre ; si je ne châtie pas mon esclave, il deviendra méchant. » Il vaut mieux mourir de faim, libre de crainte et de souci, que de vivre, l’âme troublée, dans l’abondance ; et il vaut mieux que ton esclave soit méchant que toi malheureux1.

2. Commence donc à t’exercer dans les petites choses. On te répand ton huile ? on te vole ton vin ? Dis-toi : « C’est à ce prix qu’on achète le calme parfait, à ce prix le repos de l’âme : on n’a rien pour rien. » Quand tu appelles ton esclave, pense qu’il peut ne pas t’entendre, ou même, s’il t’a entendu, ne pas faire ce que tu veux : tu y gagneras au moins de ne pas le mettre à même de porter à son gré le trouble dans ton âme.

XIII.

Veux-tu faire des progrès ? Résigne-toi à passer pour un insensé, pour un fou, à cause de ton mépris des biens extérieurs. Ne tiens pas à paraître un savant ; et si, près de tel ou tel, tu passes pour un personnage, défie-toi de toi-même. Sache, en effet, qu’il est difficile de conserver à la fois une volonté conforme à la nature et l’amour des choses du dehors. Il est inévitable que celui qui s’attache à l’un néglige l’autre2.

XIV.

1. Si tu désires que ta femme et tes enfants vivent toujours, tu es un fou : car tu désires que ce qui ne dépend pas de toi dépende de toi, que ce qui ne t’appartient pas t’appartienne. De même, si tu prétends que ton esclave ne fasse point de fautes, tu es un insensé : car tu veux que le vice ne soit plus vice, mais quelque autre chose. Veux-tu


2. L’Évangile dit : « Nul ne peut servir deux maîtres. » (S. MATTHIEU, VI, 24.)