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idées qui nous amoindrissent ou nous rapetissent[1] ! » Tout dans la nature est trop bien combiné ; l’agencement de chacune des parties de l’univers, et surtout l’organisation des corps vivants, tout cela sent trop l’artiste pour pouvoir être l’œuvre du hasard. Ce Dieu est donc une intelligence qui pénètre tout, qui connaît tout. « On lui demandait comment on pourrait prouver à quelqu’un que toutes ses actions tombent sous l’œil de Dieu. — Ne crois-tu pas, dit-il, à l’unité du monde ? — J’y crois. — Ne crois-tu pas à l’harmonie du ciel et de la terre ? — J’y crois. — Et, en effet, comment les plantes fleurissent-elles ? comment mûrissent-elles ?… Selon l’ordre de Dieu ! Puis, lorsque la lune croît et décroit, lorsque le soleil arrive ou se retire, pourquoi vois-tu sur la terre tant de changements, tant d’échanges des contraires ? Et les plantes, et nos corps se relieraient ainsi avec le grand Tout, et seraient en harmonie avec lui, sans que cela fût plus vrai encore de nos âmes ? Et nos âmes se relieraient et se rattacheraient ainsi à Dieu comme des parties qui en ont été détachées, sans que Dieu s’aperçût de leur mouvement, qui est de même nature que le sien, qui est le sien même ! Le soleil serait capable d’éclairer une si vaste portion de l’univers…, et celui qui a fait le soleil (cette partie de lui-même, si minime par rapport au Tout), celui qui le promène autour du monde, ne serait pas capable de tout connaître[2] ! »

Si toutes les fractions de l’univers sont des parties détachées du grand Tout, il n’est pas étonnant que tout se suive, que tout s’enchaine. Pour les anciens stoïciens, c’était cet ordre rigoureux qui, par lui seul, sans impliquer la réalisation ni la poursuite d’un idéal supérieur à la liaison même des choses, constituait toute beauté, comme toute vérité, comme tout bien. Chrysippe, dans les traductions que Cicéron donne de plusieurs passages importants de ses écrits, assimile la volonté de Jupiter à la destinée (fatum) ; et cette destinée, à son tour, il la définit : Sempiterna quædam et indeclinabilis series rerum et catena, volvens ipsa per se[3]. Dans Épictète, la forme

  1. Discours, I, 6.
  2. Discours, I, 14.
  3. De Natura Deorum, I. 15.