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MANUEL D’ÉPICTÈTE.


IV

on doit examiner la nature de chaque action
qu’on entreprend.


Quand tu es sur le point d’entreprendre quelque action, rappelle en ta mémoire de quelle nature est cette action. Vas-tu te baigner, représente-toi ce qui se passe aux bains, les gens qui jettent de l’eau aux autres, qui les poussent, qui les injurient, qui les volent, et tu entreprendras plus sûrement ton action, si tu te dis tout d’abord : je veux me baigner, mais je veux aussi conserver mon libre-arbitre conforme à la nature[1].


    est naturel doit suffire, comme le prétendent les stoïciens, à contenter ma raison, ma volonté morale. De fait, en aimant véritablement une autre personne, ce n’est pas une chose mortelle que j’aime ; mais, dégageant l’âme de l’enveloppe d’argile dont Épictète ne veut point la séparer, je m’attache à elle, qui est impérissable : ainsi je corrige, je transfigure la nature même, je dépasse par ma liberté la nécessité de ses lois ; et c’est peut-être là l’essence même de l’amour d’autrui. Lorsque ensuite les lois de la nature, reprenant leur empire, me font voir qu’il n’y avait pas seulement une âme libre dans l’être aimé, mais un corps soumis à la nécessité, quoi d’étonnant à ce que « je sois dans le trouble ? » Ce n’est pas seulement de la peine que j’éprouve alors, c’est de l’indignation, c’est le sentiment d’une sorte d’injustice de la nature. Les stoïciens n’ont vu dans toute douleur qu’une affection passive de la sensibilité ; mais la douleur morale, c’est la volonté luttant contre la nature, et comme ils le disaient eux-mêmes, travaillant, « peinant » pour la redresser : à ce titre, la douleur est bonne ; son rôle, ici-bas, est d’opposer sans cesse notre idéal moral à notre nature physique, et de forcer, par ce contraste, notre nature elle-même à se perfectionner.

  1. On sait l’importance du bain chez les anciens ; aussi, leurs moralistes reviennent-ils souvent sur ce sujet, comme sur l’un des actes les plus fréquents de la vie : le bain était, dit Martial, une occupation de tout instant : « nam thermis iterum cunctis iterumque lavatur ». On se baignait le matin, le soir, avant le principal repas, avant de prendre quelque résolution importante, quelquefois avant de se décider à vivre ou à mourir. Le bain, disaient les anciens, fortifie les membres et allège l’esprit. La plupart des sources étaient consacrées à Hercule, le dieu de la force. Aux bains, les diverses classes de la société antique se