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XLVI
ÉTUDE

soi-même son impuissance : ils semblent croire que, lorsque l’homme aura dans sa lutte avec les choses reconnu sa défaite, il aura remporté la victoire.

Les stoïciens n’ont pas aperçu la puissance infinie de la volonté, qui, loin de chercher à se détacher des choses, les rattaches toutes à elles en étendant sur elles son action ; qui, loin de s’abstenir, veut et agit dans toutes les directions possibles ; qui ne redoute pas les obstacles, parce qu’elle a conscience, en elle-même, d’une force capable de les surmonter ; qui n’a pas peur d’être déçue en se donnant, en se prodiguant, parce qu’une déception ne peut l’abattre et que nul don de soi ne peut l’épuiser.

En général, on l’a dit, l’idée de l’infini manqua aux anciens ; mais ce qui leur manqua surtout, c’est l’idée de la volonté infinie, puisant sans cesse en soi de nouvelles forces et s’accroissant ainsi elle-même, ayant conscience de sa propre infinité, et par cela même sentant que, quoi qu’il arrive, elle aura toujours le dernier triomphe. Cette volonté, dont l’essence et la vraie liberté consistent précisément à dépasser toutes bornes et à se répandre en toutes choses, les stoïciens veulent la « ramasser en soi », suivant l’expression de Marc-Aurèle, par conséquent la rendre finie et limitée. « Simplifie-toi toi-même