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XXIV
ÉTUDE

qui doivent mourir, qui doivent s’éloigner ? Est-ce que Socrate n’aimait pas ses enfants ? Si ; mais il les aimait en homme libre… Nous, tous les prétextes nous sont bons pour être lâches : à l’un, c’est son enfant ; à l’autre, c’est sa mère ; à l’autre, ce sont ses frères[1]. » Laissant aux « lâches » tous ces prétextes, nous devons d’avance, selon les stoïciens, embrasser par la pensée la nature de l’être aimé, le définir rationnellement, et s’il est mortel, l’aimer en tant que mortel, imposer par la volonté à notre amour même les bornes et les limitations que la nature impose à l’objet de notre amour[2] Vouloir qu’un être mortel soit immortel, c’est une contradiction que la raison repousse[3] ; il faut consentir à la mort de ceux que nous aimons, l’accepter, la vouloir. La mort est rationnelle, en effet ; or, « tout ce qui est rationnel se peut supporter. » « La nature a fait les hommes les uns pour les autres. Il faut tantôt qu’ils vivent ensemble, tantôt qu’ils se séparent ; mais, ensemble, il faut qu’ils soient heureux les uns par les autres ; et quand ils se séparent, il faut qu’ils n’en soient pas tristes[4]. » Ainsi l’amour stoïque s’incline

  1. Entretiens, III, xxiv.
  2. Manuel, iii.
  3. Manuel, xiv.
  4. Entretiens, III, xxiv.