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EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

ni : « Je suis forgeron, » parce qu’il en aura pris le bonnet et le tablier. On prend un costume en rapport avec sa profession, mais c’est de sa profession, et non de son costume, que l’on tire son nom.

C’est pour cela qu’Euphrates disait avec raison : « J’ai cherché pendant bien longtemps à dissimuler que j’étais philosophe ; et cela me servait. D’abord je savais que tout ce que je faisais de bien, je ne le faisais pas pour les spectateurs, mais pour moi-même : c’était pour moi-même que j’étais convenable à table, que j’étais réservé dans mes regards et dans ma démarche. C’était pour moi et pour Dieu que je faisais tout. Puis, comme j’étais seul engagé dans la lutte, j’étais aussi seul en péril : si j’avais fait quelque action honteuse ou inconvenante, la philosophie n’en aurait pas été compromise ; et mes fautes, n’étant pas celles d’un philosophe, n’auraient pas fait de tort à tous les autres. Aussi, ceux qui ne connaissaient pas ma pensée, s’étonnaient que, fréquentant tous les philosophes et vivant avec eux, je ne fusse pas moi-même philosophe. Et quel mal y avait-il à ce qu’on me reconnût philosophe à mes actes, mais non à mon extérieur ? Vois-moi manger, boire, dormir, patienter, m’abstenir, venir en aide aux autres, désirer, éviter, accomplir mes devoirs naturels et sociaux : quel calme et quelle liberté ! Juge-moi donc par là, si tu le peux. Mais, si tu es aveugle et sourd au point de ne point reconnaître Vulcain lui-même pour un bon forgeron, à moins que tu ne lui voies le bonnet posé sur la tête, quel mal y a-t-il à ne pas être apprécié par un juge aussi niais ? »

C’est ainsi que Socrate était méconnu de la foule…

Il serait, en effet, d’un sot et d’un vaniteux de venir dire : « Je suis au-dessus de toute agitation et de tout trouble. Sachez-le, ô mortels : tandis que vous vous tourmentez et vous bouleversez pour des choses sans valeur, moi je suis exempt de toute espèce de trouble. » Ne te suffit-il donc pas pareillement de ne pas être malade, sans crier bien haut : « Réunissez-vous tous, vous qui avez la goutte, vous qui souffrez de la tête, vous qui êtes aveugles, vous qui êtes boiteux, et voyez-moi en bonne santé, sans nulle espèce de mal ? » Il n’y aurait là en