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EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

Le mot du vulgaire serait juste, si le philosophe avait pour définition et pour enseigne de porter le vieux manteau et la longue chevelure ; mais, si sa définition est bien plutôt de ne jamais faillir, pourquoi, dès qu’il ne tient pas ce que promet son enseigne, ne pas lui retirer son titre ? C’est ce qui arrive, en effet, dans tous les métiers. Que l’on voie quelqu’un manier mal la hache, on ne dit pas : « A quoi sert le métier de charpentier ? Voyez comme les charpentiers font mal ! » On dit, au contraire : « Un tel n’est pas charpentier ; car il manie mal la hache. » De même, quand on entend mal chanter quelqu’un, on ne dit pas : « Voilà comme chantent les musiciens ; » mais bien plutôt : « Un tel n’est pas musicien. » Mais pour la philosophie, et pour elle seule, voici ce que l’on fait ; quand on voit quelqu’un agir contrairement à ce que professent les philosophes, on ne lui en retire pas le titre ; mais, posant en principe qu’il est philosophe, et, prenant dans les faits eux-mêmes ses actes honteux, on en conclut que la philosophie ne sert à rien. D’où cela vient-il ? C’est que nous avons d’avance une idée précise du charpentier, du musicien, et pareillement de tout autre artisan ou artiste, mais du philosophe, non. Celle que nous avons de lui est si confuse et si embrouillée, que c’est uniquement aux choses extérieures que nous prétendons le reconnaître. Mais est-il une autre profession dont on juge sur les vêtements et la chevelure ? Quelle est celle qui n’a pas ses objets d’étude, sa matière et sa fin ? Qu’est-ce qui est donc la matière du philosophe ? Son manteau ? Non, mais sa raison. Et quel est son but ? De porter un manteau ? Non, mais d’avoir une raison saine. Et quels sont les objets de ses études ? Les moyens d’avoir une longue barbe ou une chevelure épaisse ? Non, mais bien plutôt, comme le dit Zénon, la connaissance des éléments du raisonnement, de la nature de chacun d’eux, de leurs rapports les uns avec les autres, et de ce qui en est la conséquence.

Malheureusement, ceux qui ont ce titre de philosophes en cherchent eux-mêmes la justification dans les choses vulgaires. Dès qu’ils ont pris le vieux manteau et laissé pousser leur barbe, les voilà qui disent : « Je suis philosophe ! » Personne pourtant ne dira : « Je suis musicien, » parce qu’il aura acheté un archet et une harpe ;