arrive-t-il ? Une préfecture ? Mais lui arrive-t-ii aussi l’opinion qu’il en doit avoir ? Une charge de procurateur ? Mais lui arrive-t-il aussi la façon de s’y conduire ?… »
Jetez des raisins secs et des noix, les enfants les ramassent en hâte, et se battent entre eux ; les hommes ne le font pas ; c’est trop peu de chose pour eux. Mais jetez des coquilles, les enfants eux-mêmes ne les ramasseront pas. Eh bien ! on distribue des prétures ; c’est aux enfants d’y voir. On distribue de l’argent ; c’est aux enfants d’y voir. On distribue des généralats, des consulats ; que les enfants les pillent ; qu’ils se fassent renvoyer et frapper ; qu’ils baisent la main de celui qui les donne, et jusqu’à celle de ses esclaves : il n’y a là pour moi que des raisins secs et des figues. Que doit-on donc faire ? Si tu les manques quand on les jette, ne t’en inquiète pas ; si une figue arrive dans ta robe, prends-la et mange-la ; il t’est permis de faire assez de cas des figues pour cela. Mais quant à me baisser, quant à faire tomber quelqu’un ou à me faire renverser par lui, quant à flatter ceux qui ont leurs entrées, la figue n’en vaut pas la peine, non plus qu’aucun de ces biens que les philosophes m’ont appris à ne pas regarder comme des biens.
Montre-moi les épées des gardes. — Vois comme elles sont longues et pointues ! — Eh bien ! que font ces épées si grandes et si pointues ? — Elles tuent. — Et la fièvre, que fait-elle ? Pas autre chose… Ce sont là des épouvantails d’enfants et d’imbéciles ! Il est bien digne de prendre peur et de flatter l’homme qui, entré une fois dans l’école d’un philosophe, ne sait pas ce qu’il est, et n’a pas appris qu’il n’est ni sa chair, ni ses fibres, ni ses os, mais qu’il est ce qui en a l’usage, ce qui apprécie les représentations et en règle l’emploi.
— Oui ; mais de pareilles doctrines nous font mépriser les lois ! — Et quelle est la doctrine qui donne à ceux qui la suivent plus de soumission aux lois ? Mais le caprice d’un imbécile n’est pas une loi[1]. Et cependant vois comme,
- ↑ Cet imbécile, c’est l’empereur, c’est le souverain, quel qu’il soit, qui appuie les prétendues lois décrétées par lui, non sur la raison, mais sur la force. — La seule loi, vraiment respectable, pour Épictète, c’est la loi morale ; le stoïcien n’obéit aux lois civiles qu’autant qu’elles sont conformes à cette règle suprême.