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EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

tu en dois faire, dis-toi dès le matin, sitôt que tu es levé : « Que me manque-t-il pour m’élever au-dessus de toutes les passions, au-dessus de toutes les troubles ? » Repasse alors dans ton esprit ce que tu as fait : « Qu’ai-je omis de ce qui conduit à la tranquille félicité ? Quel acte ai-je commis qui ne soit ni d’un ami, ni d’un citoyen ? A quel devoir ai-je manqué dans ce sens ? »

LXX

Comment on s’élève au-dessus de la crainte. — Les enfants et les gardes du tyran. — La distribution des raisins et des figues. — La véritable loi.

Qu’est-ce qui nous fait redouter un tyran ? — Ses gardes, dit-on, et leurs épées ; les officiers de sa chambre, et tous ces gens qui repoussent quiconque se présente. — Pourquoi donc alors les enfants, qu’on amène près d’un tyran entouré de ses gardes, ne s’en effrayent-ils pas ? N’est-ce point parce que les enfants ne comprennent pas ce que sont les gardes ? À son tour, l’homme qui comprendrait ce qu’ils sont, et que ce sont des épées qu’ils tiennent, mais qui viendrait devant le tyran précisément avec la volonté de mourir et en cherchant par qui se faire tuer aisément, craindrait-il les gardes, lui aussi ? — Non, parce qu’il voudrait justement ce qui les fait redouter des autres. — Mais alors, si quelqu’un arrivait devant le tyran sans tenir absolument à vivre ou à mourir, mais prêt à l’un ou à l’autre, suivant l’événement, qu’est-ce qui l’empêcherait de s’y présenter sans crainte ? — Rien.

… Moi, j’ai tout examiné, et je sais que personne n’a prise sur moi. Dieu m’a donné la liberté ; je connais ses commandements ; personne ne peut aujourd’hui me faire esclave ; j’ai pour garantir ma liberté un magistrat tel qu’il le faut, des juges tels qu’il les faut. Tu es le maître de ma vie, de ma fortune ; mais que m’importe ! Je te concède tout cela, avec mon corps même tout entier, lorsque tu le voudras. Mais fais l’essai de ton pouvoir, et tu verras où il s’arrête entre tes mains.

Quand j’entends vanter le bonheur de quelqu’un, parce qu’il a reçu de César quelque dignité, je me dis : « Que lui