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EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

suite de qui faut-il se mettre ? A la suite d’un tel ? d’un riche ? d’un consulaire ? A quoi cela me servirait-il ? Car voilà qu’on le dépouille, qu’il gémit et qu’il pleure. Puis, si mon compagnon de route se tourne contre moi et se fait mon voleur, que ferai-je ? Je vais donc être l’ami de César ; et, quand je serai son intime, personne ne m’attaquera. Mais n’est-il pas mortel, lui aussi ? Et si, par suite de quelque circonstance, il devient mon ennemi, où vaudra-t-il mieux me retirer ? Dans un désert ? Soit ; mais est-ce que la fièvre n’y pénètre pas ? Quel est donc l’état des choses ? Et ne serait-il pas possible de trouver un compagnon de route sûr, fidèle, puissant, et qui ne se tournât jamais contre vous ? » Voilà ce que dit le Sage ; et il en conclut que c’est en se mettant à la suite de Dieu, qu’il fera son voyage sans danger.

Qu’appelles-tu donc se mettre à la suite de Dieu ? C’est vouloir soi-même ce qu’il veut.

LXVI

La vraie liberté. — Diogène et Socrate.

« Toi donc, me dit-on, es-tu libre ? » Je le voudrais, de par tous les Dieux, et je fais des vœux pour l’être ; mais je n’ai pas encore la force de regarder mes maîtres en face, je fais encore cas de mon corps, et j’attache un grand prix à l’avoir intact, bien que je ne l’aie pas tel. Mais je puis du moins te faire voir un homme libre, pour que tu cesses d’en chercher un exemple : Diogène était libre. Et d’où lui venait sa liberté ? Non pas de ce qu’il était né de parents libres (il ne l’était pas), mais de ce qu’il était libre par lui-même : il s’était débarrassé de tout ce qui donne prise à la servitude ; on n’aurait su par où l’attraper ni par où le saisir pour en faire un esclave. Il n’avait rien dont il ne pût se détacher sans peine ; il ne tenait à rien que par un fil. Si vous lui aviez enlevé sa bourse, il vous l’aurait laissée plutôt que de vous suivre à cause d’elle ; si sa jambe, sa jambe ; si son corps tout entier, son corps tout entier ; et si ses parents, ses amis, ou sa patrie, même chose encore. Il savait, en effet, d’où il tenait tout cela, de