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EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

consulat, ce n’est pas le gouvernement d’une province ; ce n’est pas même la royauté. Il nous faut trouver autre chose. Or, qu’est-ce qui fait que, lorsque nous écrivons, il n’y a pour nous ni empêchements ni obstacles ? — La science de l’écriture. — Et quand nous jouons de la harpe ? — La science de la harpe. — Donc, quand il s’agira de vivre, ce sera la science de la vie.

Tout ce qu’il n’est pas en ton pouvoir de te procurer ou de conserver dès que tu le veux, tout cela n’est pas vraiment tien. Éloigne de tout cela non-seulement tes mains, mais tes désirs bien plutôt encore ! Sinon, tu te mets toi-même dans les fers, tu présentes ta tête au joug. — Ma main n’est-elle donc pas mienne ? — Elle est une de tes parties ; boue de sa nature, elle peut être arrêtée et contrainte, et elle est en la puissance de quiconque est plus fort. Mais que vais-je te parler de ta main ? Ton corps tout entier doit n’être à tes yeux qu’un ânon qui porte les fardeaux, pendant le temps où il lui est possible de le faire, pendant le temps où cela lui est donné. Survient-il une réquisition, un soldat met-il la main sur lui, laisse-le aller, ne résiste pas, ne murmure pas. Sinon, tu recevras des coups, et tu n’en perdras pas moins ton ânon. Or, si c’est là ce que tu dois être vis-à-vis de ton corps, vois ce qu’il te reste à être vis-à-vis de toutes les choses qu’on n’acquiert qu’à cause de son corps. Si ton corps est un ânon, tout le reste n’est que brides, bâts, fers pour les pieds, orge et foin à l’usage de l’ânon. Laisse donc tout cela, et défais-t’en plus vite et plus gaîment que de ton ânon même.

Ainsi préparé et exercé à distinguer les choses qui ne sont pas tiennes de celles qui le sont, quel homme peux-tu redouter encore ? Comment, en effet, un homme peut-il être redoutable pour un autre homme, soit qu’il se trouve devant lui, soit qu’il lui parle, soit même qu’il vive avec lui ? Il ne peut pas plus l’être qu’un cheval pour un cheval, un chien pour un chien, une abeille pour une abeille. Ce que chacun redoute, ce sont les choses ; et c’est quand quelqu’un peut nous les donner ou nous les enlever, qu’il devient redoutable à son tour.

Cela étant, qu’est-ce qui met à néant les citadelles ? Ce n’est ni le fer, ni le feu, mais nos façons de juger et de vouloir. Car, lorsque nous aurons mis à néant la citadelle