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EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

qu’on demandait. Car, une fois l’ami de César, n’est-on plus jamais empêché ? Plus jamais contraint ? Vit-on toujours calme et heureux ? Qui interrogerons-nous là-dessus ? Et quelle autorité plus digne de foi, que celle de l’ami même de César ? « Avance donc au milieu de nous, toi, et dis-nous quand est-ce que ton sommeil était le plus tranquille. « Est-ce aujourd’hui, ou avant que tu ne fusses l’ami de César ? » Aussitôt tu lui entends dire : « Cesse, par tous les Dieux ! de te railler de mon sort. Tu ne sais pas ce que je souffre, hélas ! Le sommeil ne vient même pas pour moi. Ou accourt me dire : Il est déjà éveillé ! Il sort déjà ! Puis tous mes soucis, et toutes mes craintes ! » — « Eh bien ! quand est-ce que tu as le mieux goûté les douceurs de la table ? Aujourd’hui, ou auparavant ? » Écoute encore ce qu’il nous dit là-dessus. S’il n’est pas invité par César, le voilà triste ; s’il est invité, il est au souper comme un esclave à la table de son maître, tremblant sans cesse de dire ou de faire quelque sottise. Et que crois tu qu’il craigne ? D’être fouetté comme un esclave ? Et d’où lui viendrait tant de chance ? Comme il convient à un homme de son importance, à un ami de César, il craint d’avoir la tête coupée. Posons-lui ces questions : « Quand te baignais-tu avec le moins d’appréhensions ? Quand t’exerçais-tu le plus à loisir ? En somme, quelle est celle des deux vies que tu aimerais le mieux mener ? Celle de maintenant, ou celle d’autrefois ? » Je puis bien jurer qu’il n’y a personne d’assez dénué de sens, d’assez ennemi de la vérité pour ne pas se plaindre de souffrir d’autant plus qu’il est plus ami de César.

Puis donc que ni ceux qu’on appelle rois, ni ceux qui sont les amis des rois, ne vivent comme ils le veulent, qui est-ce qui est libre ? Cherche, et tu le trouveras ; car la nature t’a donné plus d’une voie pour découvrir la vérité.

— Crois-tu que la liberté soit une chose d’importance, une noble chose, une chose de prix ? — Comment non ? — Se peut-il donc qu’un homme, qui possède une chose de cette importance, de cette valeur, de cette élévation, ait le cœur bas ? — Cela ne se peut. – Lors donc que tu verras quelqu’un s’abaisser devant un autre, et le flatter contre sa conviction, dis hardiment que celui-là n’est point libre, non pas seulement quand c’est pour