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EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

Tu veux exhorter les hommes au bien ! Mais t’y es-tu exhorté toi-même ? Tu veux leur être utile ! Montre-leur par ton propre exemple quels hommes la philosophie sait faire, et ne bavarde pas inutilement. Par ta façon de manger, sois utile à ceux qui mangent avec toi ; par ta façon de boire, à ceux qui y boivent : cède leur ; fais abnégation de toi-même ; supporte tout d’eux.

LVIII

Qu’il faut y regarder à deux fois avant de se laisser entraîner à une liaison[1].

De deux choses l’une : ou celui qui se laisse entraîner souvent à causer, à dîner, et généralement à vivre avec d’autres, leur deviendra semblable ; ou il les convertira à ses mœurs. Placez, en effet, un charbon éteint auprès d’un charbon allumé, le premier éteindra le second, ou le second allumera le premier. En face d’un semblable péril, il faut y regarder à deux fois avant de se laisser entraîner à de pareilles liaisons avec les hommes ordinaires, il faut se rappeler qu’on ne saurait se frotter à un individu barbouillé de suie, sans attraper soi-même de la suie. Que feras-tu, en effet, s’il te parle de gladiateurs, de chevaux, d’athlètes, ou, ce qui est encore pis, s’il te parle des hommes ; s’il te dit : « Un tel est un méchant homme ; un tel est honnête ; « ceci a été bien fait ; cela l’a été mal ? » Et si c’est un moqueur, un persifleur, une mauvaise langue ? Avez-vous donc les ressources du musicien, qui, dès qu’il a pris sa lyre, et qu’il en a touché les cordes, reconnaît celles qui ne sont pas justes, et accorde son instrument ? Avez-vous donc le talent de Socrate, qui, dans toute liaison, savait amener à ses sentiments celui avec qui il vivait ? Et d’où vous viendrait ce talent ? Forcément, ce serait vous qui seriez entraînés par les hommes ordinaires.

Et pourquoi sont-ils plus forts que vous ? Parce que toutes ces sottises, c’est avec conviction qu’ils les disent ; tandis que vous, toutes ces belles choses, c’est des lèvres

  1. V. le Manuel, XXXIII.