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EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

clame-le vainqueur aux jeux Néméens, aux Pythiens, aux Isthmiques et aux Olympiques. Mais en public pas d’empiétements : ne t’arroge pas ce qui appartient à tous. Sinon, supporte les injures ; car, lorsque tu agis comme la multitude, tu te mets toi-même à son niveau.

LII

À un rhéteur qui s’en allait à Rome pour un procès.

Au moment de partir pour Rome, où il avait un procès au sujet de sa charge, quelqu’un était venu trouver Épictète ; celui-ci s’informa de la cause de son voyage ; et, comme l’autre lui demandait ce qu’il pensait de l’affaire : Me demandes-tu, lui dit-il, ce que tu pourras faire à Rome, et si tu y dois réussir ou échouer ? Je ne puis rien t’apprendre à cet égard. Mais, si tu me demandes comment tu t’y conduiras, je puis te dire que, si tu penses bien, tu te conduiras bien ; et que, si tu penses mal, tu te conduiras mal…. Montre-moi plutôt que tu as examiné tes opinions et que tu en as pris soin.

Tu fais aujourd’hui la traversée de Rome afin d’être préfet de Gnosse. Jouir, en restant chez toi, des honneurs que tu as déjà, ne te suffit pas ; tu aspires à une dignité plus haute et plus éclatante. Eh bien ! quand as-tu fait pareille traversée pour examiner tes opinions, et t’en débarrasser si elles étaient mauvaises ? Qui as-tu été trouver pour cela ? Quel temps y as-tu consacré ? Quelle époque de ta vie ? Récapitule ces jours-là en toi-même, si tu as peur de moi. Est-ce quand tu étais enfant, que tu te rendais compte de tes opinions ? Ne faisais-tu pas alors tout ce que tu faisais de la même manière qu’aujourd’hui ? Quand tu étais jeune homme, que tu allais entendre les rhéteurs, et que tu déclamais pour ton propre compte, que croyais-tu qui te manquât ? Quand tu fus devenu homme, que tu t’es occupé de politique, que tu as plaidé des causes, que tu t’es fait une réputation, qui donc te semblait à ta hauteur ? Quand aurais-tu souffert qu’on examinât si tu n’avais pas des opinions fausses[1] ? Que veux-tu donc que je te dise ?

  1. Cf. Pascal, XXIV, 53 : « L’homme est visiblement fait pour pen-