Page:Manuel d’Épictète, trad. Guyau, 1875.djvu/206

Cette page a été validée par deux contributeurs.
132
EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

Et cependant, comme c’était là le rôle qui lui avait été assigné par Dieu, ainsi qu’il le dit lui-même, y manqua-t-il jamais ?

Et moi, Épictète, puisque j’ai été pour ainsi dire condamné[1] à porter la barbe blanche et le vieux manteau, et que tu es venu vers moi comme vers un philosophe, je ne te traiterai pas avec rigueur, ni comme un incurable, et je te dirai : « Jeune homme, qui veux-tu rendre beau ? Sache d’abord qui tu es, et ne songe à te parer qu’après cela. Tu es un homme, c’est-à-dire un être animé, destiné à mourir, et qui doit faire un usage raisonnable de tout ce que ses sens lui présentent… Ne perds pas ton temps à changer ce qui est bien ; laisse l’homme être un homme, la femme être une femme, la beauté de l’homme être la beauté de l’homme. » Pour le moment, je n’ose pas te dire que tu es laid ; car c’est, je crois, le mot que tu voudrais le moins entendre. Mais vois ce que dit Socrate au plus beau et au plus élégant de tous les hommes, à Alcibiade : « Tâche donc d’être beau. » Et que lui dit-il pour cela ? Lui dit-il : « Arrange ta chevelure, et fais épiler tes jambes ? » À Dieu ne plaise ! Il lui dit : « Donne tes soins à ta faculté de juger et de vouloir. Débarrasse-toi de tes faux jugements. »

XLIX

Comment on doit apprendre la philosophie.

Malheureux que tu es ! C’est en tremblant que tu apprends toutes ces belles choses, en mourant de peur d’être méprisé, et en l’informant si on ne parle pas de toi. Si quelqu’un vient te dire : « Comme on demandait quel était le plus grand philosophe, une personne présente a dit : le seul philosophe, c’est un tel ! » ta petite âme, qui était de la taille d’un doigt, grandit de deux coudées. Mais, si quelqu’un de ceux qui étaient là a répondu : « Tu parles en l’air ; un tel ne vaut pas la peine qu’on l’entende ! Que sait-il, en effet ? Il en est aux premiers

  1. Par la destinée.