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EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

tu que je parle ici d’un Dieu d’argent ou d’or en dehors de toi ? Le Dieu dont je parle, tu le portes en toi-même ; et tu ne t’aperçois pas que tu le souilles par tes pensées impures et tes actions infâmes ! En présence de la statue d’un Dieu, tu n’oserais rien faire de ce que tu fais ; et quand c’est le Dieu lui-même qui est présent en toi, voyant tout, entendant tout, tu ne rougis pas de penser et d’agir de cette façon, ô toi qui méconnais ta propre nature et qui attires sur toi la colère divine ! Si tu étais une statue de Phidias, la Minerve ou le Jupiter, tu te souviendrais de toi-même et de l’artiste qui t’aurait fait ; et, si tu avais l’intelligence, tu voudrais ne rien faire qui fût indigne de ton auteur ou de toi, et ne jamais paraître aux regards sous des dehors inconvenants. Vas-tu, maintenant, parce que c’est Jupiter qui t’a fait, être indifférent à l’aspect sous lequel tu te montreras ? Est-ce qu’il y a égalité entre les deux artistes ; égalité entre les deux créations ? Est-il une œuvre de l’art qui ait réellement en elle les facultés que semble y attester la façon dont elle est faite ? En est-il une qui soit autre chose que de la pierre, de l’airain, de l’or ou de l’ivoire ? La Minerve même de Phidias, une fois qu’elle a étendu la main, et reçu la Victoire qu’elle y tient, reste immobile ainsi pour l’éternité ; tandis que les œuvres de Dieu ont le mouvement, la vie, l’usage des représentations et le jugement. Quand tu es la création d’un pareil artisan, voudras-tu le déshonorer ?

Mais que dis-je ? Il ne s’est pas borné à te créer ; il t’a confié à toi-même, remis en garde à toi-même. Ne te le rappelleras-tu pas ? Et souilleras-tu ce qu’il t’a confié ? Si Dieu avait remis un orphelin à ta garde, est-ce que tu le négligerais ainsi ? Il t’a commis toi-même à toi-même, et il t’a dit : « Je n’ai personne à qui je me fie plus qu’à toi ; garde-moi cet homme tel qu’il est né, honnête, sûr, à l’âme haute, au-dessus de la crainte, des troubles et des perturbations. » Et toi tu ne le gardes pas !

Mais on dira : « Pourquoi cet homme porte-t-il si haut la tête, et prend-il cet air d’importance ? » Je ne le fais pas encore comme je le devrais ; car je n’ai pas encore une confiance entière dans ce que j’ai appris et dans ce que j’ai accepté : je redoute encore ma propre faiblesse. Laissez-moi prendre cette confiance, et vous verrez alors le regard et le