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EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

toutes les choses qui ne relèvent pas de notre libre arbitre, et qui ne dépendent pas de nous, ne sont rien par rapport à nous, il nous faut user d’assurance vis-à-vis d’elles. C’est ainsi que nous réunirons les précautions et l’assurance ; et, par Jupiter ! c’est à nos précautions que nous devrons notre assurance.

La mort, la douleur, voilà ce que Socrate (et il avait raison de le faire) nommait des masques dont on s’effraie. Les enfants, en effet, s’effraient et s’épouvantent d’un masque, grâce à leur ignorance ; et nous, à notre tour, nous tremblons devant les objets pour la même raison que les enfants devant les masques. Qu’est-ce qu’être enfant ? C’est ignorer. Quand l’enfant sait, il ne fait pas plus mal que nous. Qu’est-ce que la mort ? Un masque qui t’effraie. Retourne-le ; regarde ce que c’est ; tu verras qu’il ne mord pas. Qu’est-ce que la douleur ? Un masque qui t’effraie. Retourne-le, et vois ce que c’est. Si tu n’y trouves pas ton compte, la porte t’est ouverte ; si tu l’y trouves, prends patience. La porte nous est toujours ouverte. Il le fallait ; et c’est par là que rien ne peut nous gêner.

Il ne faut pas s’en rapporter à la foule, qui prétend que les hommes libres seuls peuvent s’instruire ; mais bien plutôt aux philosophes, qui soutiennent que les gens instruits sont seuls libres. Comment aurons-nous encore confiance en vous, ô chers législateurs ? Allons-nous n’accorder le droit de s’instruire qu’aux gens libres ? Mais les philosophes disent : « Nous n’accordons la liberté qu’à ceux qui sont instruits. » Et cela signifie que c’est Dieu lui-même qui ne l’accorde qu’à ceux-là. — Serait-ce donc ne rien faire que de faire faire à notre esclave un tour sur lui-même devant le préteur ?[1]. — C’est faire quelque chose. — Mais quoi ? — C’est lui faire faire un tour sur lui-même devant le préteur. — Pas autre chose ? — Si ; c’est encore s’obliger à payer le vingtième de sa valeur. — Mais quoi ! celui qu’on a conduit ainsi n’est-il pas devenu libre ? — Pas plus libre qu’il n’est exempt de trouble. Toi-même, en effet, qui peux ainsi conduire les autres devant le préteur, n’as-tu donc point de maîtres ? N’as-tu point

  1. Pour affranchir un esclave, on le conduisait devant le préteur, et là on le frappait sur la joue en lui faisant faire un tour sur lui-même.