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EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

jours ouverte. N’aie pas moins de cœur que les enfants ; quand un jeu cesse de leur plaire, ils disent : « Je ne jouerai plus. » Eh bien ! toi aussi.

XXIII

Le point faible.

Si j’attache du prix à mon corps, je me fais esclave ; si à ma cassette, esclave encore. Car aussitôt je révèle moi-même contre moi par où l’on peut me prendre ; de même qu’en voyant le serpent retirer sa tête, je te dis : « Frappe-le à la partie qu’il veut préserver. » Sache, toi aussi, que, si tu veux conserver quelque chose, ce sera par là que ton maître mettra la main sur toi. Si tu te dis bien tout cela, qui flatteras-tu ou craindras-tu encore ?

— Mais je veux m’asseoir où s’asseoient les sénateurs. — Ne t’aperçois-tu pas que tu te mets toi-même à l’étroit, à la gêne ? — Comment sans cela bien voir au théâtre ? — Mon ami, n’y va pas voir, et tu ne seras pas gêné. Qu’as-tu besoin d’y aller ? Ou bien, attends un peu, puis, quand tous les spectateurs seront sortis, va t’asseoir aux places des sénateurs, et chauffe-t’y au soleil. Il faut, en effet, se rappeler à propos de tout, que c’est nous-mêmes qui nous mettons à la gêne, nous-mêmes qui nous mettons à l’étroit ; c’est-à-dire que ce sont nos façons de juger qui nous y mettent.

Qu’est-ce, en effet, que d’être injurié ? Place-toi en face d’une pierre, et injurie-la ; que produiras-tu ? Si donc quelqu’un se fait semblable à une pierre, quand il s’entend injurier, à quoi aboutira celui qui l’injuriera ? Mais, si la faiblesse d’esprit de l’insulté est comme un pont pour l’insulteur, c’est alors qu’il arrivera à quelque chose.

C’est là ce que Socrate méditait sans cesse ; et c’est pour cela qu’il eut toute sa vie le même visage. Mais nous, il n’est rien à quoi nous n’aimions mieux réfléchir et nous exercer qu’aux moyens d’être libres et sans entraves.

Paradoxes (dit on), que les propos des philosophes ! Mais dans les autres sciences n’y a-t-il donc point de paradoxes ? Qu’y a-t-il de plus paradoxal que de percer l’œil de quel-