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EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

duisent sur toi un effet contraire à la nature ; aie pitié d’eux plutôt. Laisse là ces mots de colère et de haine, ces exclamations de la multitude : « Quelle canaille ! Quel être odieux ! » Es-tu donc, pour ta part, devenu sage en un jour ? Te voilà bien sévère ! Pourquoi donc nous emportons-nous ? Parce que nous attachons du prix à ce qu’on nous enlève. N’attache pas de prix à ton manteau et tu ne t’emporteras pas contre son voleur. Tant que tu attacheras quelque prix à ces choses-là, c’est de toi que tu devras être mécontent, et non pas des autres.

Vois un peu : tu as de beaux vêtements, tandis que ton voisin n’en a pas ; tu as une fenêtre ; veux-tu les y mettre à l’air ? Il ne sait pas quel est le bien de l’homme, et s’imagine que c’est un bien d’avoir de beaux vêtements ; ce que tu crois toi-même ; et il ne viendrait pas te les prendre ! Tu montres un gâteau à des gourmands, et tu le manges seul ; et tu veux qu’ils ne te l’arrachent pas ! Ne les tente pas ; n’aie pas de fenêtre ; ne mets pas à l’air tes vêtements. Moi, avant-hier, j’avais une lampe de fer devant mes dieux pénates ; j’entendis du bruit à ma porte ; je courus, et je trouvai qu’on avait enlevé ma lampe. Je me dis que celui qui l’avait volée n’avait pas fait une chose déraisonnable. Qu’arriva-t-il donc ? Je dis : « Demain tu en auras une de terre cuite. »

Marche droit et libre, en mettant désormais ta confiance dans ces principes. Quel est l’homme dont rien ne vient à bout ? Celui que ne tire de son calme rien de ce qui est en dehors de son libre arbitre. Cela posé, j’énumère toutes les occasions possibles ; et, comme on dit, en parlant d’un athlète : « Il a vaincu le premier sur lequel le sort l’a fait tomber ; mais en eût-il vaincu un second ? Eût-il vaincu, s’il eût fait chaud ? s’il eût été à Olympie ? » de même ici je dis : « Si tu mets de l’argent devant lui, il en fera fi ; mais la gloriole ? Mais les insultes ? Mais les éloges ? Mais la mort ? Pourrait-il en triompher également ? Et s’il avait la fièvre ? Et s’il était dans une humeur noire ? » Voilà pour moi l’athlète qui ne serait jamais vaincu.