Page:Manuel d’Épictète, trad. Guyau, 1875.djvu/134

Cette page a été validée par deux contributeurs.
60
EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

comme une grande chose par sa nature, comme une chose d’un prix très-élevé, et qui est au-dessus de toute atteinte ? Cela dit, où vous faut-il chercher la tranquillité et la liberté ? Dans ce qui est assujetti, ou dans ce qui est indépendant ? » — Dans ce qui est indépendant. — « Eh bien ! votre corps est-il indépendant ou assujetti ? » — Nous n’en savons rien. — « Vous ne savez pas qu’il est assujetti à la fièvre, à la goutte, à la cécité, à la dyssenterie, aux tyrans, au feu, au fer, et à tout ce qui est plus fort que lui ? » — Oui, il leur est assujetti. — Comment donc alors une partie quelconque du corps pourrait-elle être libre ? Comment pourrait être d’importance et de prix ce qui n’est de sa nature qu’un cadavre, de la terre, de la boue ? Mais quoi ! n’avez-vous rien en vous qui soit indépendant ? » — Rien. — « Et qui peut vous forcer à adhérer à une erreur manifeste ? » — Personne. — « Qui peut vous contraindre à ne pas adhérer à la vérité qui se montre à vous ? » — Personne. — « Vous voyez donc bien par là qu’il y a en vous quelque chose qui est naturellement indépendant. Et qui de vous peut désirer ou craindre, vouloir une chose ou la repousser, préparer ou entreprendre quoi que ce soit, s’il ne se l’est pas représenté d’abord comme un profit ou comme un devoir ? » Personne. — « Vous avez donc là encore quelque chose d’indépendant et de libre. Malheureux ! c’est là ce qu’il vous faut travailler et soigner, c’est là qu’il vous faut chercher le bien. »

(Traduction Courdaveaux).

II

Portrait du philosophe.

— Et comment peut-on vivre heureux, quand on ne possède rien, quand on est nu, sans maison, sans foyer, négligé, sans esclave, sans patrie ? — « Eh bien ! Dieu vous a envoyé quelqu’un pour vous montrer par des faits que cela est possible. Regardez-moi : je suis sans patrie, sans maison, sans fortune, sans esclave ; je couche sur la terre ; je n’ai ni femme, ni enfant, ni tente de général ;